Rudolf Roessler ? Jamais entendu parler…

1 – LUMIÈRES SUR LES SERVICES SECRETS

Une des premières explications présentées par l’historiographie mondiale pour accréditer « l’effet de surprise » du Blitzkrieg fut, nous l’avons vu, la prétendue inefficacité des Services secrets français qui auraient laissé le haut commandement dans l’ignorance, tant des capacités de l’armée allemande que des plans successifs adoptés par Hitler.

Thèse abracadabrante qu’il convient dès à présent d’analyser soigneusement, afin de ne laisser planer aucun doute sur ce point déterminant.

Sachant que les informateurs allemands les plus connus et efficaces étaient des officiers de très haut rang, appartenant soit à l’OKH  (Quartier général de l’armée de terre), soit à l’OKW (Quartier général de l’armée), qui allaient trahir le Reich nazi par conviction patriotique.

Il convient donc de citer l’exemple le plus frappant de leur efficacité :

Le réseaux Viking (Lucy pour les Anglo-saxons) animé par un certain …

Rudolf Roessler

Au cours de la Première Guerre mondiale, cet officier allemand se lie d’amitié avec d’autres officiers démocrates.

Quelques années plus tard, en 1933, écœuré par l’arrivée d’Hitler au pouvoir et sur les conseils de son ami Xavier Schnieper, – fils d’un conseiller d’État de Lucerne et officiers des SR suisses – il émigre pour fonder à Lucerne une petite maison d’édition, la Vita Nova Verlag, qui lui servira à publier des articles parfaitement documentés analysant à partir de 1933 la politique du Reich et dénonçant les projets d’Hitler. Tous renseignements obtenus de ses amis, restés dans l’armée et parvenus à des postes importants de responsabilités.
Les lettres codées qu’il reçoit ainsi que les fréquentes visites de ses contacts lui permettent d’obtenir des renseignements politiques et économiques qu’il publie dans son journal sous le pseudonyme d’« Hermes ».      

Quelques mois avant la déclaration de guerre de septembre 1939, Roessler, contacté par le colonel Masson chef des services de renseignements helvétique, accepte de cesser de publier ces informations dans son journal, pour les communiquer directement aux services suisses.

À ce moment le réseau se structure autour de quelques hommes :

1° Xavier Schnieper, qui a recommandé Roessler au colonel Masson, et deviendra son officier traitant.
2° Le colonel Masson chef des SR suisses, lui-même pro-allié, contrairement au chef de l’armée, le général Henri Guisan, pro-allemand.  Cette opposition obligera Masson à prendre des risques.

3° Le capitaine Hausamann qui a monté avant la guerre un service de presse camouflant un réseau de renseignement portant le nom de code de « Bureau HA ».

Hausamann fait porter chaque jour à Masson, par le capitaine Max Weibel, chef de la section 9 des SR suisses, les renseignements qu’il obtient quotidiennement de Roessler.

Il fournit les mêmes renseignements au colonel Barbey, chef de cabinet du général Guisan, ainsi qu’aux SR français, britanniques, belges, hollandais, norvégiens par l’entremise du capitaine Sedlacek (nom de code : oncle Tom) ancien des SR tchèques, émigré à Londres.
Les renseignements parviennent donc à TOUS les Alliés, ainsi qu’à tous les pays neutres menacés, comme nous le constaterons encore tout au long de cette enquête.

Les lettres codées passent sans difficulté la censure et, en cas d’urgence, les conversations téléphoniques permettent de transmettre les dernières décisions d’Hitler.

Le « Réseau Viking » qui, pour les Alliés deviendra le « Réseau Lucy », va ainsi fonctionner pendant toute la durée du conflit.

Seule condition imposée par Roessler : Ne jamais dévoiler les noms de ses camarades.

D’ailleurs aujourd’hui encore, personne ne peut prétendre connaître avec certitude les noms de ces héros allemands. Selon la CIA, outre Gersdorf et Thiele, « on trouve un lien avec les généraux Wirth, Mueller, Lemmer, Gisevius, Horkheimer, probablement Thormann, et peut-être Joachim Oster ».

En réalité, personne, hors Roessler, n’a jamais su qui étaient précisément ces hommes suffisamment haut placés (parmi « les cinq ») pour être en mesure de connaître les plus intimes décisions du Führer, quasiment en temps réel.

Gaston Pourchot, témoin clé

L’historien et journaliste Pierre Accoce couronné par de nombreux prix pour ses ouvrages, et en ce temps journaliste d’investigation à l’Express, a dévoilé le premier en 1965 dans son best-seller traduit en plusieurs langues : La Guerre a été gagnée en Suisse, l’existence de ce qui fut le réseau le plus mystérieux de la seconde guerre mondiale.
Ainsi qu’il me l’a personnellement confirmé en 2012 au cours d’un long entretien filmé, il a rencontré en 1963 les survivants du réseau Viking et interviewé, au cours de son enquête de plus d’une année, de nombreux membres des services secrets suisses ayant travaillé avec Roessler, décédé en 1958.

Parmi eux, Schnieper, bien sûr, et la veuve de Rudolf Roessler, mais surtout le colonel Masson, avec lequel il aura plusieurs entretiens d’abord à Lausanne, puis à son domicile de Vevey.

Celui-ci témoignera de ses relations avec le commandant Gaston Pourchot, attaché militaire adjoint à l’Ambassade de France.

Témoignage qui peut se résumer en quelques lignes : « La base des services de renseignements français en Suisse était située au premier étage du consulat français, rue Sulgenheim à Berne. Le commandant Pourchot y était assisté par le Commandant Trichet, le capitaine Mathiot, les lieutenants Duroux, Talichet, Nappey.

Ce « réseau Pourchot » avait des antennes à Bâle, Zurich, Lausanne, Genève. Une cinquantaine d’agents en 1940, puis 250 spécialistes dès 1942, époque à laquelle le réseau devient l’annexe du réseau national clandestin « Kleber ».  

Concernant l’engagement de ce témoin capital que fut le commandant Pourchot, précisons qu’il organisa l’évasion du général Henri Giraud en décembre 1940, avec le colonel Masson et les réseaux de résistance alsaciens, qu’en 1944 il sera décoré par le général Bethouard pour son action clandestine, puis recevra en 1946 la Légion du Mérite, et quelques hautes décorations US avec félicitations du président Truman pour avoir transmis aux Alliés des informations capitales jusqu’en 1945. (Il avait été contacté dès 1942 par Allen Dulles, agent de l’OSS commandée par le général US Donovan, et ancêtre de la future CIA)

Pourchot et Roessler se rencontraient régulièrement : « Les liens entre Masson et Pourchot remontaient au 1er septembre 1939. Ils se voyaient souvent, notamment au café Odéon, près de l’Hôtel de ville de Berne. »

C’est à Pourchot que le colonel Masson confiera le fameux message annonçant l’attaque allemande dix jours à l’avance.

Le colonel Masson a également confirmé à M. Accoce que Pourchot avait, dès sa réception, porté lui-même ce télégramme au Ministère des Affaires étrangères et au grand Quartier Général de l’armée à Vincennes. Que le général belge Maurice Delvoie, attaché militaire belge à Paris avait, dans le même temps, alerté les autorités militaires françaises de ce risque imminent.

Les faits et les hommes sont donc connus de tous depuis 1940 et les preuves de l’existence du message informant de l’attaque allemande imminente abondent dans les livres publiés par les officiers du renseignement, ou dans les journaux spécialisés, tel le Bulletin de la Société Jurassienne des officiers (suisses), 34e section Fédération Nationale des S/Officiers. Titre de l’article : « L’attaque allemande mai 1940 ». Sous la plume du capitaine Dunand, 2ème Bureau, adjoint et contact de l’attaché militaire français en Suisse : « Dès le 30 avril, nous recevons de Berne d’une source parfaitement autorisée et de première main (Roessler) le renseignement suivant : L’Allemagne attaquera entre le 8 et le 10 mai. Stop. Axe principal effort, Sedan. Stop. Occupation prévue de la Hollande et de la Belgique, du nord de la France en 10 jours. Stop. Occupation totale de la France en un mois. Stop. Fin »

D’autres témoignages confirment : « Des alertes émanant de Berlin pour la Belgique et la Hollande, de Berne, pour le compte de la Belgique et de la France. Source en Suisse ? Le service de Roger Masson, SR helvétique, via le commandant Gaston Pourchot, attaché militaire français. »       
Fin de citation (capitaine Dimitry Queloz Le service de renseignement suisse)

Apparemment, au vu de tous ces témoignages concordants, Roessler et son réseau Viking, ainsi que les informations qu’il a transmises, devraient figurer en bonne place dans l’histoire de cette bataille.
Or, curieusement, il n’en est rien.

Mieux ! Certains historiographes et journalistes de tous bords et de tous pays, tentent encore de passer sous silence, ou même de contester, l’existence de ces avertissements …

Les historiens tout aussi « sourds » que les généraux du conte de fées

Afin de ne laisser planer aucun doute sur cette volonté de désinformation, je me permets de citer ici M. Jean Vanwelkenhuyzen[1], expert belge bien connu qui, à la page 55 de son livre 1940 Plein feux sur un désastre publié en 1996, soit plus de 30 ans après celui de Pierre Accoce, mais toujours abondamment cité par tous les auteurs négationnistes, écrit : « Après les événements, comme pour redorer le blason du renseignement, il a été beaucoup question d’un mystérieux avertissement, lancé le 30 avril ou le 1er mai, par l’attaché militaire français à Berne et prophétisant, avec des variantes selon les versions, l’offensive pour le 8 ou le 10 mai, avec Sedan pour point d’application de l’effort principal. La Hollande, la Belgique et le Nord français étant occupés en 10 jours, la France en un mois. La preuve de ce message n’a jamais été fournie et c’est d’autant plus fâcheux qu’il offrirait un rare exemple de prémonitions puisque, le 30 avril ou le 1er mai, Hitler ne savait pas lui-même qu’il ouvrirait le feu le 10 mai. Sa décision n’est tombée que la veille. »

En inventant de toutes pièces ce message déterminant de Roessler, les dirigeants des Services de Renseignements français auraient donc voulu se dédouaner en faisant porter le chapeau aux politiques.

Et bien sûr, si l’on considère les brillants titres universitaires M. Vanwelkenhuyzen : Docteur es sciences politiques et diplomatiques, licencié en sciences économiques et financières, et constatant qu’il est à ce titre : directeur du Centre de Recherches et d’études historiques de la Seconde Guerre Mondiale, secrétaire général du Comité International d’Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale et Vice-président du Comité national belge des Sciences Historiques, on ne peut qu’être très impressionné par une telle affirmation.


[1] L’auteur en question, pour appuyer sa démonstration, cite : Général Rivet : Etions-nous renseignés en mai 1941 : In Revue de défense nationale Juillet 1950 Page 36. Mais également : Gauché page 211, Reynaud page 422, Henri Navarre, le service de renseignement page 110.        


Sauf que … Le colonel Gauché, qu’il cite, est formel dans son témoignage (publié en 1953) : « Le SR, de son côté, apporte les précieuses indications reçues de ses antennes qui, depuis longtemps, sont alertées. Nous les reproduisons ici, sans divulguer la source, mais en respectant leur forme laconique ; elles n’en seront que plus frappantes :

Du début avril : « Le SR allemand s’attend à ce que la frontière belge soit fermée fin avril. »

11 avril : « Opérations imminentes à l’ouest, attention aux mouvements militaires des prochains jours. »

20 avril : « Le personnel du SR allemand abandonne ses lieux de stationnement en Belgique ».

1er mai : « L’armée allemande attaquera entre le 8 et le 10 mai sur tout le front, y compris la ligne Maginot. La région de Sedan, la Belgique, la Hollande et le nord français seront occupés en dix jours, la France en un mois. »

2 mai : « Fermeture des frontières belges et hollandaises imminentes »

Nuit du 5 au 6 mai : « Prochaine offensive générale qui englobera les Pays bas. »

6 mai : « L’antenne du SR allemand de Stuttgart stationnée à Luxembourg se replie. Attaque prête. L’armée française, dit-on dans les milieux du commandement allemand, sera incapable d’arrêter les formations blindées en rase campagne »

8 mai (par le détour de l’Italie) : « Attaque pour ce jour même. »

9 mai : « Attaque le 10, à la pointe du jour. »

Ce renseignement fut devancé par l’évènement. Il ne parvint au SR qu’au moment où l’attaque allemande venait de se déclencher. »  
Fin de citation (Gauché, Le deuxième Bureau au travail page 211)

Outre ce témoignage parfaitement explicite, bien d’autres, dont celui du général Navarre à l’époque membre des SR et chef du département Allemagne, ou de Paul Reynaud qui cumulait les fonctions de président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, confirment que leurs services avaient bien reçu ce message le 1er mai.
Le général Louis Rivet, dans son livre Carnets d’un chef des Services Secrets 1936-1944, rapporte également que le 2ème Bureau avait été averti par les SR suisses d’une attaque imminente dans le secteur de Sedan, tandis que d’autres témoins attestent que le commandant Pourchot a remis en main propre cette information au GQG de Vincennes, donc au généralissime Gamelin, mais également au N°2 de l’Armée, le général Georges.

Alors qui faut-il croire ? Ces hauts responsables militaires et politiques français et suisses, ou un brillant représentant de l’histoire officielle estimant que seul le héros de son propre livre, le colonel Oster de l’Abwehr, mérite de retenir l’attention du Centre de Recherches et d’Etudes Historiques de la Seconde Guerre Mondiale, du Comité International d’Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale, et du Comité national belge des Sciences Historiques ?

Pour les départager, considérons les bases de l’argumentation de M. Vanwelkenhuyzen en nous penchant, comme il le fit, sur les documents allemands selon lesquels, le 1er mai, Hitler avait fixé la date de l’offensive au 5, puis l’avait reportée plusieurs fois :

Le 8 mai, nous apprenons par Jodl : « Nouvelles alarmantes de Hollande. Annulation des permissions, évacuations barrages routiers autres mesures de mobilisation… Führer ne veut plus attendre. Göring demande jusqu’au 10 au moins. Führer très agité, puis consent à reporter jusqu’au 10, ce qui est contraire à son intuition dit-il. Mais pas un jour de plus »  
(cité par Shirer La chute de la IIIe République)      

Apparemment, Hitler hésitait effectivement.
Les arguments de M. Vanwelkenhuyzen semblent donc recevables.

Et tous cas si on ne réfléchit pas plus loin car, d’une part la date approximative a été fixée par Hitler dès le 27 avril et non le 1er mai, ainsi qu’en témoigne à cette date dans son journal le général Jodl chef d’état-major personnel d’Hitler : « le Führer à l’intention de déclencher le plan jaune entre le premier et le 7 mai. »

Ce qui nous permet de comprendre comment les amis de Roessler ont déjà pu en estimer la date probable dès le 31 avril.
D’autre part, celle-ci devait être décidée en fonction de deux éléments:

1er élément : La météo, très défavorable au début du mois de mai.

Or, pour exploiter au mieux la meilleure arme d’Hitler, l’aviation, il fallait un temps clément sur une longue période. Une éclaircie, même d’un jour ou deux, ne suffisait pas.

C’est pourquoi le 9 au soir, lorsque le chef de service météo de la Luftwaffe annonce enfin à son Führer pour le lendemain un ciel sans nuage, cette bonne nouvelle pousse ce dernier à lui offrir une superbe montre en or.

Mais ce geste signifie-t-il pour autant que, depuis le 30 avril, ce spécialiste météo avait été incapable, au moins approximativement, de prévoir la période de mauvais temps qui devait se prolonger du 1er au 9 mai ?

Une tempête au mois de mai, surtout si elle puissante au point de bloquer l’aviation est facilement indentifiable. On ne parle pas ici d’une simple période de mauvais temps en période hivernale, mais d’un phénomène important et exceptionnel, dont toutes les caractéristiques étaient parfaitement connues du maréchal Hermann Goering, commandant en chef de la Luftwaffe, qui, ayant la haute main sur les services météorologiques, avait fait affecter des vedettes de la marine et des sous-marins, postés dans les régions arctiques à la surveillance météo.
Or, en ce début de mois de mai, tous les spécialistes étaient unanimes : Il y aurait une période d’exceptionnel beau temps entre le 10 et le 17 mai : « Les rapports précisent ensuite que les vents seront « faibles ou modérés avec prédominance de courants venant du nord ». Leur vitesse moyenne atteindra six mètres seconde. Le ciel doit être peu nuageux. Dans les vallées des brouillards matinaux sont à prévoir, mais il ne se produira aucune précipitation. La moyenne des températures se maintiendra aux alentours de 14 degrés. Dans les Ardennes de faibles gelées nocturnes sont possibles, mais les journées seront lumineuses, avec une excellente visibilité. »

Fin de citation (Berben et Iselin Les Panzer passent la Meuse page 36)

Ainsi, que ce paramètre ait effectivement joué un rôle important n’est pas contestable. Par contre, qu’il ait été le seul à avoir retardé l’attaque est à écarter puisqu’on pouvait en prévoir la fin bien avant le 9 au soir.

2e élément : L’ultimatum qu’Hitler avait prévu d’envoyer aux pays neutres afin de justifier politiquement son attaque.

Voici les termes de ce document rédigé à partir du 3 mai : « Le gouvernement allemand sait depuis longtemps que le véritable but de l’Angleterre et de la France est l’attaque à l’ouest contre l’Allemagne, attaque soigneusement préparée et à la veille de se réaliser. Et qui consiste à pousser une pointe vers les territoires de la Ruhr, en passant par les territoires de la Belgique et la Hollande. (-) Le gouvernement de l’Allemagne n’entend pas, dans cette lutte pour l’existence imposée au peuple allemand par l’Angleterre et la France, attendre de laisser porter la guerre en territoire allemand. Il vient de donner aux troupes allemandes l’ordre d’assurer la neutralité de ces pays par tous les moyens de force militaire dont dispose l’Allemagne. »

À ce sujet, les archives nous disent que la Wilhelmstrasse (ministère des Affaires étrangères allemand) va se heurter à un problème imprévu car, de son côté, le Roi des Belges, parfaitement informé par son ambassadeur à Berlin M. Davignon, va employer tous les moyens à partir du 8 mai pour empêcher que l’ultimatum lui parvienne, fermant notamment sa frontière aux émissaires.

Épisode, là encore, « oublié » par Mr Vanwelkenhuyzen dans son raisonnement.

Mes questions sont donc :

1° Étant donné ces difficultés, était-il difficile de prévoir que l’attaque subirait des retards ?

2° Hitler attendait-il autre chose qu’une météo parfaite ou la remise de son ultimatum ? Comme par exemple, que le haut commandement français ait pu prendre prétexte du weekend de la Pentecôte, pour dégarnir comme il convenait son front Nord ?    
Dans cet ordre d’idée, est-il possible d’imaginer que les généraux démocrates allemands du réseau Viking, de par leur position au sein de l’OKW, de l’OKH et de l’Abwehr aient été informés de ce que les permissions avaient été rétablies côté français, et que les émissaires avaient des difficultés à accomplir leur mission ?

Qu’ils aient été en mesure d’intégrer ces différents éléments à leurs prévisions et aient donc eu une vue parfaitement claire de la situation, telle qu’elle se présentait le 30 avril ?
Ce qui leur permettait d’estimer, au vu des difficultés diplomatiques, de la météo, et du weekend de Pentecôte, que la date définitive de l’attaque ne pouvait se situer avant le 8 mai et plus certainement le 10, au moment où la météo serait favorable, et où 20% des effectifs de l’armée française, seraient effectivement loin du front !
Sachant que les correspondants de Roessler étaient de toute évidence mieux informés qu’Oster, – ce que confirment unanimement tous les historiens – et donc en mesure de connaître, bien avant tout le monde, les difficultés exactes rencontrées à tous niveaux, n’est-il pas logique d’estimer qu’ils n’eurent aucune difficulté à croiser tous ces paramètres ?        
Thèse qui nous permettrait d’évacuer de l’équation la possibilité que les SR allemands et alliés auraient eu, comme trait commun, d’employer de préférence des spécialistes sourds-muets, aveugles, et légèrement débiles de surcroit …

Quant à l’ultime raison pour laquelle Hitler était si impatient, elle nous est donnée à la date du 7 mai par le Journal du général Halder :

« Le Führer est très excité.  On vient de lui communiquer une conversation entre l’ambassadeur belge au Vatican et le ministre des Affaires étrangères belge à Bruxelles, permettant de conclure à une trahison de source allemande. »

Et tout ceci confirme que « Tout le monde savait bien tout, sur tout le monde » et que ce que le conte de fées officiel qualifie de « surprise », n’est qu’une vaste blague.

Ce que nous aurons encore mille fois l’occasion de vérifier …

La thèse d’État remplit les poubelles de l’histoire

Pour ce qui concerne la valeur et la qualité exceptionnelle des informations communiquées aux SR suisses, rappelons que dans la période allant de 1938 à 1941, Roessler et ses amis vont envoyer douze milles pages dactylographiées en simple interligne, l’équivalent de quarante livres normaux !

Soit infiniment plus que les informations fournies par le colonel Oster, personnage principal du livre de Mr Vanwelkenhuyzen.

Et on comprend que ce soit irritant pour cet expert !

D’autant que les résultats obtenus par Roessler furent déterminants sur le terrain, sinon lors de la campagne de France ou de Pologne pour les raisons que nous avons comprises, mais tout du moins par la suite, sur le Front de l’Est, ainsi qu’en témoigne le général Guderian :
« Lors des combats de la poche de Kiev, le général commandant de la 5e armée soviétique fut notre prisonnier le 26 septembre. J’eus avec lui un entretien intéressant, au cours duquel je lui posais quelques questions :
– Quand avez-vous appris que mes chars se déployaient dans votre dos?
–  Réponse : « Aux environs du 8 septembre »

Général Heinz Guderian Erinnerungen eines soldaten 1951   

Quant aux autres « menteurs » fustigés par Mr Vanwelkenhuyzen, ils témoignent de la même manière de l’efficacité du réseau « Viking-Lucy » : « Lucy tenait entre ses mains les fils qui remontaient aux trois grands commandements de l’armée allemande… L’effet de ses communications sur la stratégie de l’Armée rouge et sur la défaite de la Wehrmacht a été considérable. »
Alexander Foote ex-agent secret soviétique – Handbook for Spies 1947

« Les soviétiques exploitèrent alors une source fantastique, située en Suisse, un nommé Rudolph Roessler qui avait pour nom de code Lucy. Par des moyens qui n’ont pas encore été éclairés aujourd’hui, Roessler en Suisse parvint à obtenir des renseignements du haut commandement allemand à Berlin à une cadence à peu près ininterrompue et souvent moins de vingt-quatre heures après qu’eussent été arrêtées les décisions quotidiennes au sujet du front de l’est. »
Allen Dulles, ex-directeur de la Central Intelligence Agency – La technique du renseignement Paris 1964

Enfin, puisqu’il semble que M. Vanwelkenhuyzen ne tienne compte, comme tant de ses collègues, que de ce qui peut conforter sa propre contribution à la thèse du Blitzkrieg, je propose pour trancher la question de rappeler qu’en 1941, au cours du procès de Riom, le Président Caous et le Procureur Général Cassagneau – après avoir entendu les témoignages des plus hauts responsables des SR français – purent tirer les conclusions suivantes :

« La mobilisation de l’armée allemande a été suivie unité par unité, sans aucune lacune ni erreur.          
– Il en fut de même de la concentration des unités allemandes face à la Pologne, d’une part, à la France, au Danemark, à la Belgique et à la Hollande, d’autre part.
– La répartition des forces a toujours été parfaitement indiquée au Haut Commandement Français, pendant la campagne de Pologne, pendant l’intervalle des campagnes de Pologne et de France.          
– Le transfert vers l’Ouest des grandes unités ayant pris part à la campagne de Pologne a été suivi intégralement par le S.R. Français, sans que jamais une grande unité allemande eût été perdue de vue pendant plus de 24 heures.
– Le dispositif allemand à la veille du 10 mai 1940 était connu dans les moindres détails, ainsi que les possibilités de manœuvre qu’il portait en germe.
– La date et le lieu de l’attaque du 10 mai 1940 ont été communiqués au Commandement Français avec quelques réserves dès la fin mars 1940, et, avec certitude dès avril 1940. (C’est moi qui souligne)
– La constitution des armées de terre et de l’air allemandes a été tenue à jour sans lacune et cela aussi bien pour leur composition que pour leur équipement et leurs armes, et, pour si paradoxal que cela puisse paraître, le S.R. français a donné de l’armée allemande une description plutôt surévaluée : c’est ainsi que le nombre de chars des divisions blindées allemandes a été surévalué de 10 à 15 %, du fait que les sorties d’usine étaient en retard sur les prévisions.        
– Au cours de la campagne de France l’essentiel des mouvements allemands a été identifié de bout en bout. En particulier chaque division blindée a été suivie sans aucune erreur grâce à l’interception et à l’exploitation de tous les messages de commandement des grandes unités allemandes. Ainsi purent être annoncées et décrites : l’attaque sur la Meuse, la marche vers la Manche, les regroupements en vue des attaques sur la Somme, en Champagne, etc., etc ».

La Cour a même rendu hommage à l’efficacité et la clairvoyance des services secrets …

Quant à ce qui concerne la preuve matérielle indubitable, donc le message original, nous savons que les archives du Quai d’Orsay ont été brûlées le 16 mai 1940 au matin. Un énorme brasier dans la cour du ministère dans lequel les télégrammes, dont ceux qui émanèrent de Berne, partirent en fumée. Quelques années plus tard de nombreux documents saisis par la Wehrmacht dans un train abandonné à la Charité-sur-Loire furent eux aussi brûlés, lors de la chute de Berlin. Ces fameux télégrammes et leurs copies ont donc été détruits.

Mais cela autorise-t-il pour autant les historiens les plus renommés à affirmer qu’ils n’ont jamais existé ?

Enfin, et puisqu’il s’agit ici d’en finir avec cette fausse controverse, M. Vanwelkenhuyzen peut-il nous expliquer pourquoi il n’a pas mentionné dans son ouvrage, paru en 1982 le livre de Mrs Amort et Jedlicka : On l’appelait A 54, paru chez Robert Laffont en 1966 qui a révélé l’existence d’un autre agent, Paul Thümmel, qui donna exactement les mêmes renseignements que Roessler et dans les mêmes délais ?

Idem pour celui de Mrs Paul Berben et Bernard Iselin, deux excellents auteurs révisionnistes qui publient en 1969, dans leur ouvrage parfaitement documenté Les Panzer passent la Meuse, la liste des officiers ayant confirmé que ce message était parvenu à d’autres états-majors alliés. (texte déjà cité plus haut à la date du 30 avril)

Même question pour le livre du général Paul Paillole, en ce temps responsable du service Allemagne.

Témoignage publié en 1975, donc sept ans avant l’ouvrage de cet « expert » : « L’imminence d’une offensive allemande est apparue aux Anglais. Le 2 mai une réunion des chefs de service des deuxième et cinquième Bureaux français et britannique a lieu à l’ambassade d’Angleterre. Nos informations sont confrontées avec celle de nos alliés. Les liaisons sont encore renforcées. La sécurité des troupes britanniques qui opérerait en France sera assurée par nos B. C. R. auxquels seront adjoints des officiers de sécurité britannique.

Les services de Bertrand (grâce à la machine Enigma) révèlent chaque jour la préparation d’attaques aériennes sur nos terrains d’aviation. Le 6 mai l’antenne du S. R. Allemand de Stuttgart installé au Luxembourg se replie. »

Fin de citation (Paillole Services Spéciaux page 188)

« Le 2 mai » … Soit deux jours après les messages de Roessler depuis Berne, du commandant Munier depuis Budapest, et de Paul Thümmel depuis Prague. Et la confirmation que ces messages étaient également transmis aux SR britanniques. Qu’ils furent étudiés conjointement par les deux services.

De plus, nous savons que les SR britanniques seront renseignés par leur agent Sator de la date de l’attaque le 7 mai.
Et nous nous doutons que ces derniers devaient avoir d’autres sources, toujours inconnues des historiens.

En conclusion, tout ceci confirme qu’une certaine forme de négationnisme, orienté très précisément afin d’éluder le fait que les Alliés connaissaient non seulement le jour et la date de l’attaque, mais également depuis le 10 mars 1940 le plan Manstein dans tous ses détails, semble toujours pratiqué par les plus hautes instances universitaires européennes et même mondiales, puisque les apports de Roessler, Thümmel, Munier et Sator sont systématiquement éludés ou niés par les historiographes, surtout les plus prestigieux.

Nous sommes donc bien là devant une tentative majeure de désinformation.

2 – DES VOIX DISCORDANTES DANS LE CHŒUR DES APÔTRES

Dès le mois de mai 1940, de nombreux membres des Services de Renseignements français n’avaient pu ignorer la trahison en cours.

Ce sont eux qui fondèrent, dès la défaite, les premiers réseaux de résistance en France occupée et en zone libre et, même s’ils ne l’ont jamais dénoncée ouvertement, leurs écrits iront souvent à l’encontre de la thèse d’État.

Et nous sommes ici dans une véritable dissidence au sein de l’armée, car les officiers fidèles à Pétain ne retourneront leur veste en rejoignant ces réseaux, qu’après que les armées allemandes se soient trouvées bloquées devant Moscou, puis Stalingrad en automne 1942, et pour les plus lents après le débarquement américain en Afrique du Nord le 8 novembre 1942. Donc suite à l’occupation de la zone libre et une fois la défaite de l’Allemagne certaine.
Cette caste très particulière de la corporation militaire, républicaine et résistante dans l’âme, souffrit donc, non seulement de ce qu’ils savaient être une trahison, mais également de l’effet de meute qui fit après-guerre de ces spécialistes du renseignement capables et efficaces, la risée des « experts » et la honte de l’Armée.

Ce qui nous amène à cette rébellion des SR, bien plus difficile à gérer que lorsqu’il s’agissait de faire taire des officiers républicains sans connaissance exacte des dessous de la trahison, ou un généralissime à bout de force, usé par les polémiques. 

Car c’est ici qu’entre en scène un simple journaliste, sans grand pouvoir, mais curieux de tout …

On l’on voit resurgir la constante Roessler 

En effet, lorsque Mrs Pierre Accoce et Pierre Quet font éditer leur ouvrage sur le réseau Roessler en 1965, celui-ci a un retentissement international. Hollywood veut en faire un film, les auteurs participent à d’innombrables reportages, ou émissions télévisées à des heures de grande écoute.
En deux mots, le risque est grand de voir la curiosité de quelques historiens éveillée par ce nouvel éclairage. Ceci d’autant que le ministère de la Défense, toujours si soucieux de faire disparaître les preuves, ne devait sans doute pas ignorer que de leur côté messieurs Amort et Jedlicka, au terme de leur propre enquête, s’apprêtaient à sortir leur ouvrage On l’appelait A 54, paru chez Robert Laffont en 1966.
Il devenait donc impératif de rajouter quelques mailles au filet de mensonges.
Ce à quoi M. Vanwelkenhuyzen et quelques autres, que nous connaissons bien aujourd’hui car tout aussi dévoués que lui au maintien du secret de famille, se sont employés.

Ceci précisé, il n’est pas inutile de comprendre comment M. Accoce a pu retrouver les traces de Rudolf Roessler, en nous intéressant à l’un des héros les plus discrets de cette bataille de l’ombre :

Le capitaine de vaisseau Henri Trautmann.

Les SR, serviteurs muets ?  Pas tant que cela …

Né en 1901 à Woerth en Alsace, nommé en 1948 à la Direction de la recherche politique militaire et économique au Service de Documentation extérieure et de contre-espionnage (S.D.E.C).
Il y dirigeait le Service Action dans les années 1960, sous la direction du général Paul Jacquier, compagnon de la Libération, un des premiers aviateurs à avoir rejoint la Royal Air Force pour continuer la lutte en juin 1940, puis les Forces Françaises Libres.

Pour comprendre les circonstances exactes de l’entrée en jeu de cette autre pièce de l’échiquier revenons en 1963, date de sa rencontre avec Pierre Accoce, alors qu’il était proche de la retraite et maintenu en service en tant qu’agent de liaison du S.D.E.C entre le service action et les services du Premier ministre à Matignon.   

À cette époque, il entretenait encore des relations de confiance et d’amitié profonde avec un « ancien » des SR, prédécesseur de Paul Jacquier à la direction du SDEC, le général Paul Joseph Roger Grossin.
Cet autre irréductible républicain né en 1901 à Oran, avait été affecté de septembre 1939 à mai 1940, à l’état-major de la Ve armée, celle du général…Bourret, un des officiers républicains les plus actifs de l’armée, celui qui, sans relâche, dénoncera les efforts de la Cagoule pour la noyauter et que nous avons déjà rencontré à plusieurs reprises au cours de notre enquête.
Durant cette période, son chef d’État-major était le général de Lattre de Tassigny et, nous nous en souvenons, le commandant des chars le colonel de Gaulle !
On comprend donc à quel point ces « mauvaises fréquentations » allaient bien vite avoir sur lui une influence fâcheuse puisque, fait prisonnier fin juin 1940 dans les Vosges, il ne tarde pas à s’évader et rejoint la France où il intègre un groupe de résistants affiliés au groupe Combat. Ce qui le fera rayer des cadres par le gouvernement de Vichy en décembre 1941.  C’est au sein de ce réseau qu’il prépare en Algérie le débarquement allié.

Puis il intègre les Forces Françaises Libres du général De Gaulle, aux côtés de son ami de Lattre et c’est ensemble qu’ils prépareront le débarquement en Provence et remonteront jusqu’à Paris.
Après une longue période à l’état-major des Armées, il est nommé en 1957 patron du S.D.E.C. Fonction qu’il cèdera à son compagnon et ami en résistance, le général Paul Jacquet, celui qui guida si obligeamment M. Accoce, par l’entremise du commandant Trautmann dans les coulisses ténébreuses de la bataille …

Une manœuvre difficile et tortueuse qui nous a permis de comprendre comment le président de Gaulle, alors au pouvoir, mais en ce temps de Guerre froide très préoccupé de rétablir l’indépendance de la France par rapport aux Etats-Unis et l’Union soviétique, avait décidé de se venger de ses ennemis antirépublicains.

Car rien ne s’est fait sans son accord …

Ainsi, la boucle est bouclée, et l’on comprend mieux par quel autre tour de magie, le petit journaliste de l’Express a pu retrouver la piste « oubliée » du réseau Viking de Rudolf Roessler.