Liste des informations obtenues avant la bataille
L’un des grands piliers de la théorie du Blitzkrieg « incompréhensible » soutient que les états-majors, tout comme les responsables politiques alliés, n’avaient aucune connaissance du plan allemand, dit Manstein, qui prévoyait d’encercler les armées alliées en Belgique, et qu’ils n’étaient pas plus avertis de la date de l’attaque.
Or, rien n’est plus mensonger.
En réalité, les alliés furent parfaitement avertis de tous les détails de ce plan à partir du mois de février 1940.
Quant aux date et heure de l’attaque, elles leur furent communiquées le 31 avril, donc dix jours avant le 10 mai.
Liste non exhaustive des renseignements obtenus par les plus hautes autorités alliées, avant la bataille : (extrait du Tome N°1 de la série le Grand mensonge du 20ème siècle)
Entre la fin de novembre 1939 et la fin de janvier 1940, les Services de Renseignement alliés notent que le nombre de divisions ennemies sur les frontières belge et luxembourgeoise passe de 25 à 57.
Outre ces renseignements, ils disposent, à compter de cette date, de bien d’autres informations de première main :
Dès janvier 1940, date des premiers changements d’Hitler en ce sens, le général Gamelin est prévenu par ses contacts militaires belges, que les forces du Reich pourraient également attaquer dans les Ardennes.
Le 11 janvier, une note du 2ème Bureau fait état de la possibilité d’une action allemande contre les pays scandinaves.
Le 12 janvier à 9 heures du matin, le général Gamelin convoque d’urgence à Vincennes son subordonné direct, le général Georges commandant les armées du Nord pour l’informer des renseignements obtenus de Léopold III de Belgique, du pape Pie XII et du comte Ciano ministre des Affaires étrangères italien, indiquant l’imminence d’une attaque – Le 14 janvier à l’aube – contre la Belgique.
Les renseignements étaient exacts, l’attaque fut reportée.
Le 1er février le poste de Berne, qui maintient des contacts discrets avec les SR helvétiques exploitant le réseau Roessler, signale que « l’état-major suisse est convaincu que l’Allemagne va, d’ici quelques semaines, attaquer la Belgique et la Hollande ».
Le 2 février, la source « A » une jeune communiste dont le père est général et sert au ministère de la guerre, traitée par le capitaine chef du SR à La Haye, situe cette offensive au printemps.
Le même jour, le poste de La Haye recueille une information analogue, restreignant cependant l’attaque allemande au territoire hollandais mais l’assortissant de raids aériens massifs sur l’Angleterre.
Information correcte, nous sommes quelques jours AVANT l’adoption définitive du plan allemand, dit « Manstein » qui fera porter l’effort principal dans les Ardennes.
Le 17 février le général von Manstein fait officiellement part de son plan à Hitler, et celui-ci l’adopte définitivement le 20.
Quelques jours plus tard, le lieutenant René Hauth, un officier du 5e Bureau français stationné à Longwy, en rapport avec les SR du Luxembourg est informé des grandes lignes de ce plan, notamment du fait que le groupe d’armées A passera par le Grand Duché pour rejoindre la Frontière française. Il transmet immédiatement le renseignement aux plus hauts responsables du GQG à Paris.
Le 26 février, le « bureau Ha » correspondant du réseau Roessler confirme les grandes lignes de ce plan et le transmettra aux SR suisses, qui répercutera immédiatement à tous les Alliés.
Le 27 février, la source » T » un jeune patriote autrichien, traité par l’attaché militaire français à Vienne, le colonel Saland, informe de vive voix son correspondant : « Les atermoiements successifs depuis novembre dernier ont été la conséquence d’une opposition larvée des généraux allemands à la volonté, maintes fois réitérée, d’Hitler d’en finir à l’ouest. Celui-ci est toujours fermement décidé à attaquer simultanément la Belgique, la Hollande et la France. En même temps, la Luftwaffe écrasera l’Angleterre par des bombardements massifs.
En attendant, son objectif immédiat réside dans la mainmise sur le Danemark et la Suède, afin d’interdire aux alliés les accès de la Baltique, d’isoler la Suède et d’assurer la livraison par ce pays du minerai indispensable à l’industrie de guerre allemande. »
Il s’agit très exactement du plan général d’attaque à l’ouest.
Au courant du mois de mars, sept divisions blindées seront repérées face à la frontière et le déploiement des troupes indiquera clairement que la principale poussée ennemie s’exercera au centre du front, approximativement entre Sedan et Namur à la charnière des IIe et IXe armées. Ce déploiement sera accompagné de tous les renseignements nécessaires :
Le 1er mars, Hitler adresse une directive à ses généraux concernant la future opération du Danemark, opération conjuguée avec celle qui sera menée par Falkenhorst contre la Norvège.
Dans les jours qui suivent, la Scandinavie, le Danemark et la Norvège, sont avertis par le réseau Roessler. Information confirmée par les autres agents.
Le 2 mars, selon les SR français : « un informateur en situation d’être très bien informé sur les opinions exprimées dans les milieux du Haut-commandement allemand, fait savoir qu’une offensive allemande serait imminente sur le front occidental ; elle comporterait l’invasion de la Belgique et de la Hollande. »
Le même jour, l’information concernant l’invasion du Danemark est retenue comme exacte par le haut commandement.
Le 8 mars, les Suisses reçoivent les premiers détails du plan d’attaque de la France par l’entremise du réseau Roessler.
Suite aux précédents renseignements concernant la Pologne ou la Norvège, la fiabilité des renseignements communiqués à TOUS les alliés (France Angleterre, Belgique, Hollande etc…) par le Colonel Masson, chef du service de renseignement suisse, n’est pas contestable.
Le même jour, le roi Léopold III de Belgique informe son gouvernement que toutes les indications reçues faisaient prévoir une poussée allemande concentrée : « par les Ardennes en direction de Dinant – Saint-Quentin, dans le dessein de couper Paris des armées alliées en Belgique et de les encercler dans le Pas de Calais ».
Il charge son attaché militaire à Paris d’en informer le général Gamelin et d’insister sur la « certitude fondée sur des documents probants, que l’axe principal de la manœuvre ennemie serait orienté perpendiculairement au front Longwy – Givet. »
Le 10 mars, le colonel Delvoie attaché militaire belge reçoit, toujours en provenance de Roessler, donc des SR suisses, les nouvelles mesures du plan Manstein (Fall Gelb N°4) définitivement adopté trois jours plus tôt par Hitler.
Il y est spécifié que : « l’offensive allemande sera dirigée sur la Meuse, entre Charleville et Sedan. La percée sera effectuée à travers les Ardennes, pendant que le gros de l’armée allemande fixera l’essentiel des forces françaises, belges et britanniques sur la frontière belge. Les chars du général Heinz Guderian exécuteront la percée à Sedan, puis pivoteront en un gigantesque coup de faucille, en direction de la basse Somme. Ils s’efforceront de parvenir à la mer, espérant prendre au piège le gros des armées alliées. »
D’ordre de son gouvernement, Delvoie transmet officiellement cette information à l’état-major du Général Georges.
Tous les détails de ce nouveau plan (nombre de division, plan de répartition, potentiel matériel etc…) seront transmis aux différents QG alliés entre cette date, et la fin avril.
Le même jour, le colonel Navarre, rencontre à Lugano un de ses grands agents, Hans-Thilo Schmidt, (alias Ashe) frère du général de blindés Schmidt, commandant le 39e corps d’armée intégré au groupe d’armées A. Celui-ci confirme que « au lieu de porter comme prévu l’effort principal de la Wehrmacht sur la Belgique et la Hollande » le plus fort de l’attaque serait porté dans les Ardennes belges et françaises et que « l’offensive se poursuivrait en direction de l’ouest vers la basse Somme. Ainsi seraient enfermés dans une véritable nasse les forces alliées du Nord et bien entendu les armées belges et hollandaises. »
Fin de citation (Paillole Notre espion chez Hitler page 198)
Le 13 mars, le colonel Delvoie reçoit du général van Overstraeten, conseiller militaire du Roi, l’ordre de transmettre officiellement cette information au QG du général Gamelin généralissime des armées alliées et à l’état-major du Général Georges commandant en chef des armées du Nord. Il précise que « selon toutes les données recueillies, l’axe principal de la manœuvre adverse était orienté perpendiculairement au front Longwy-Givet » mais ignore à ce moment que le haut-commandement français disposait déjà de toutes ces informations, transmises par ses attachés militaires à Berne.
Dans le même mois de mars 1940, sept divisions blindées sont repérées dans des positions qui leur permettaient de faire mouvement vers l’ouest au sud de Liège : « Ainsi, à cette date, le déploiement des troupes et des Panzer indiquait clairement que la principale poussée ennemie s’exercerait au centre du front, approximativement entre Sedan et Namur, secteur tenu par la fragile IXe armée. »
D’autre part, le génie allemand commence à jeter sur le Rhin, entre Bonn et Bingen, huit ponts de bateaux. Ces ponts sont photographiés par le capitaine Antoine de Saint-Exupéry en mission d’observation au-dessus de l’Allemagne à bord de son Bloch 141.
Comme le dit Shirer qui a relevé ces faits : « Tant de pontons dans le secteur indiquait clairement l’endroit où l’ennemi avait l’intention de frapper le plus fort avec ses blindés et ses troupes motorisées. L’indication devint plus claire encore quelques jours après, quand plusieurs autres ponts semblables furent jetés sur la Moselle et l’Ohr, à la frontière du Luxembourg sans défense, où une véritable panique s’ensuivit. »
Parallèlement, un rapport de René Marty, officier d’état-major au QG de Gamelin, chargé depuis janvier d’étudier les conditions d’arrivée des forces allemandes sur la Meuse, concluait que la percée serait effective en 48 heures. Selon la version officielle, le rapport n’est pas pris en considération : « Pour ne pas démoraliser les troupes ».
Le 14 mars, Roland de Margerie, chef de cabinet de Paul Reynaud, président du Conseil, reçoit confirmation écrite du plan d’attaque par Elisabeth Wiskemann une journaliste anglaise possédant des relations étendues dans les milieux allemands anti-nazis, en Suisse et en Italie. Elle termine sa lettre par ces mots : « Excusez-moi si vous savez déjà tout cela, mais mon informateur pense que « es kann sehr bald losgehen » (cela peut commencer très prochainement)
Le 16 mars l’agent A 54 des SR tchécoslovaques, de son vrai nom Paul Thümmel, haut fonctionnaire allemand qualifié par les Alliés de source parfaitement sûre, ayant déjà averti des attaques contre Prague, la Pologne, puis la Norvège, confirme qu’Hitler a décidé de violer la neutralité de la Hollande et la Belgique, pour attaquer la France et l’Angleterre, et donne à son tour d’autres détails du plan « Manstein ».
Le 3 avril, le colonel Goethals transmet aux SR belges une nouvelle information en provenance du colonel Oster, commandant l’Abwehr de Berlin. Celui-ci informe les alliés depuis des mois, et affirme :
« Il est faux de croire qu’il ne se passera rien au front ouest. J’ai la profonde conviction que cela se déclenchera bientôt. Je ne puis fixer de date, mais mon impression personnelle est que le 15 avril pourrait être le début d’une action offensive, menée d’abord contre le Danemark en direction de la Norvège et trois ou quatre jours plus tard devant la Belgique et la Hollande. Je répète que je suis absolument convaincu d’une offensive à l’ouest. »
Le lendemain 4 avril, le colonel Oster confirme : « Vous ne me croirez peut-être pas, mais une expédition de grande envergure se prépare dans le but d’occuper le Danemark et la Norvège. Les troupes destinées à la Norvège embarquent en ce moment même à Stettin. L’occupation se déroulera mardi prochain (9 avril). L’offensive contre l’Ouest suivra peu après. L’opération est une initiative personnelle du Führer. Le secret a été si bien gardé que personne, sauf à l’échelon le plus élevé, n’en a connaissance. Pas plus de cinq autres personnes en Allemagne pour le moment. Je suis la sixième. Il est de la plus haute importance que le Danemark, la Norvège et l’Angleterre soient mis en garde. Faites tout ce que vous pourrez ! »
Nous noterons ici que l’un, au moins, des informateurs du réseau Roessler, qui sera toujours mieux et plus vite renseigné que le colonel Oster, devait faire partie de ces « cinq personnes ».
Nous y reviendrons …
Le général Navarre témoigne : « L’incertitude fut levée tout au début d’Avril par un renseignement provenant d’un très bon agent, signalant des concentrations de troupes et de navires dans les ports de la Baltique et annonçant l’invasion imminente du Danemark et de la Norvège. Les 5 et 6 Avril étaient décelés des préparatifs d’embarquement à Stettin.
Le 7 Avril, l’action était jugée certaine par le SR »
Concernant l’attaque à l’Ouest il précise : « À partir du début avril, le rythme des renseignements de toute nature annonçant l’offensive alla en s’accélérant. Furent notamment signalés : La construction de ponts et d’embarcadères sur la Moselle et sur le Rhin, des mouvements de forces blindées, la distribution de cartes du Luxembourg et de la Belgique, l’augmentation de certains dépôts à l’ouest du Rhin, la réduction du trafic civil sur les voies ferrées conduisant vers l’ouest, le retrait des avions allemands en Hollande, la préparation de points de passages sur l’Oure et sur la Sure, le replis des antennes du SR allemand opérant en Belgique et en Hollande.
Les informations situant l’attaque allemande à travers la Belgique, la Hollande et le Luxembourg étaient souvent mélangées avec d’autres attirant notre attention sur la ligne Maginot, l’Alsace ou la frontière suisse. À aucun moment le deuxième bureau et le SR ne se laissèrent ébranler par ces fausses indications, dont le caractère d’intoxication fut décelé. »
Fin de citation (Navarre Le service de renseignement page 108)
11 avril : « Opérations imminentes à l’ouest, attention aux mouvements militaires des prochains jours. »
12 avril : Le capitaine Paul Paillole du 2e Bureau, est averti par un de ses agents double Schlochoff, qui travaille également pour l’Abwehr, que les postes Abwehr 1 de Munster et de Stuttgart s’intéressent avec insistance à tous les détails topographiques et militaires de cette zone et viennent de lui confier la mission de relever sur l’axe Sedan, Charleville, Saint-Quentin, Amiens, la largeur des cours d’eau, l’état des berges, la force portante des ponts et d’identifier les troupes françaises sur place, ainsi que les dépôts d’essence. Les agents chargés de cette prospection doivent fournir les éléments de réponse avant le 15 avril. »
Il s’agit très exactement de l’axe d’attaque décrit par Roessler et les autres informateurs.
Le Capitaine Paillole est expédié à la Ferté sous Jouarre pour attirer l’attention du chef du 3ème Bureau (opérations) du commandement Nord-Est, sur ces faits troublants. Sur le vu des questionnaires, le 5ème Bureau (renseignements Allemagne) confirme qu’il peut s’agir de l’axe principal de l’offensive allemande. Passant par les Ardennes, celle-ci viserait à atteindre la mer du nord.
La date du 15 avril permet par ailleurs de supposer que cette offensive pourrait avoir lieu fin avril début mai, compte tenu des délais nécessaires à l’exploitation des renseignements recueillis.
Le 13 avril le roi Léopold III de Belgique insiste et demande à son conseiller militaire, le général van Overstraeten, de confirmer à l’attaché militaire Français, le colonel Hautcoeur, que selon les renseignements fournis par ses SR, la tactique d’Hitler sera « d’aspirer les franco-britanniques en Belgique avec le dessein de les écraser par une riposte enveloppante, débouchant du grand-duché du Luxembourg. » Il ajoute qu’il lui « parait désormais évident que les Allemands espèrent attirer les forces alliées en Belgique et les y détruire par le sud, au moyen d’armées remontant du Luxembourg ». Information transmise par Hautcoeur le lendemain.
Le 18 avril le colonel Gauché, patron du 2e Bureau français en charge de rassembler et synthétiser les renseignements, confirme :
« Une excellente source diplomatique rapporte les entretiens qu’un informateur a eu avec différents chefs militaires allemands : Hitler a ordonné d’attaquer prochainement la Hollande et la ligne Maginot. Cette action serait conjuguée avec une action contre la Suède. »
– À la même date, une haute personnalité politique allemande de la République de Weimar déclare que le commandement allemand se disposerait à attaquer la Hollande. La même source signale qu’un informateur, qui avait déjà annoncé l’invasion du Danemark, fait savoir que l’attaque contre la Belgique, la Hollande et le front Ouest était à prévoir dès le 8 mai au matin en cas de beau temps et, dans le cas contraire, dans un délai de quelques jours. »
Fin de citation (Colonel Gauché Le 2ème Bureau au travail)
Le 20 avril : « Le personnel du SR allemand abandonne ses lieux de stationnement en Belgique ».
Le 24 avril, le colonel Oster donne l’information suivante :
« Le Führer a écrit à Mussolini qu’il a décidé de déclencher bientôt les opérations dans l’Ouest. Sur la base des informations reçues et de mes impressions personnelles, je crois que l’offensive pourrait démarrer la semaine prochaine. »
Le 29 avril, l’agent A 54 envoie au 2e Bureau tchécoslovaque à Londres le message suivant, écrit à l’encre sympathique :
« Des unités allemandes et du matériel sont transportés vers l’Italie. Peut-être la Yougoslavie sera-t-elle occupée. L’Italie envoie en Albanie de nombreuses unités pour entrer en Yougoslavie du sud.
La division en sphères d’influence entre l’Allemagne et l’Italie a été négociée par Hitler et Mussolini. Fiévreux préparatifs pour l’attaque aérienne de l’Angleterre… L’URSS est présente derrière la frontière roumaine, d’où la pression allemande sur la Roumanie.
L’invasion militaire de l’Angleterre qui avait été envisagée, est remise à plus tard car on a besoin des troupes en Norvège… À l’entrée de l’Italie dans la guerre, la Suisse sera probablement envahie… (-) »
Tous ces renseignements ont été confirmés aux SR britanniques tout au long de cette période par une autre de leurs sources directes : l’agent Sator, stationné en Silésie.
Il ne fait donc aucun doute que les dirigeants des deux pays alliés ont été parfaitement informés, puisqu’ils croisaient leurs renseignements.
Seconde information indispensable : Le jour J
Outre toutes les dispositions du Plan Manstein, que les hauts commandements alliés connaissent maintenant parfaitement, nous en arrivons au second problème posé à leurs Services de Renseignements : La date de l’attaque.
Rappelons qu’elle se produira le 10 mai à l’aube.
Sachant que la thèse officielle affirme que les SR seront jusqu’à la dernière minute incapable de la prévoir, voyons ce qu’il en fut réellement.
Le 30 avril l’attaché militaire français en Suisse le commandant Gaston Pourchot, qui depuis le mois de mars transmet tous les détails du plan Manstein, reçoit l’information suivante des SR Suisses, donc de Roessler, une source qu’il qualifie de « parfaitement autorisée et de première main » : « L’Allemagne attaquera entre le 8 et le 10 mai. Stop. Axe principal effort, Sedan. Stop. Occupation prévue de la Hollande et de la Belgique, du nord de la France en 10 jours. Stop. Occupation totale de la France en un mois. Stop. Fin »
Le même jour, le renseignement est confirmé :
1° Par l’agent Paul Thümmel ( agent A 54) depuis Prague.
2° Par le commandant Munier des services de renseignements français de Budapest.
Donc TROIS sources de premier plan, et reconnues comme parfaitement sûres.
Enfin, « depuis La Haye, le capitaine Truttat, qui appartient aussi aux SR, a retransmis en fin de soirée les alarmes de l’état-major néerlandais, de même que l’attaché naval, le capitaine de corvette Guichard. »
(Berben et Iselin Les Panzer passent la Meuse page 78)
Vu l’importance de l’information, Pourchot se rend en personne à Paris pour la communiquer plus en détail à l’état-major, aux généraux Gamelin et Georges, au ministre de la Guerre Édouard Daladier, et au Ministre des Affaires étrangères, donc à Paul Reynaud, qui cumule cette charge avec celle de Président du Conseil, depuis le 21 mars 1940.
Le même jour, se tient au GQG de Montry la conférence périodique du renseignement groupant les spécialistes français et britanniques, présidée par le colonel Gauché, chef du 2ème Bureau du général Gamelin. Le commandant Maisonneuve, affecté au 2ème Bureau du QG Nord-est, fait le point sur la situation : « Action massive de parachutistes, bombardements aériens intenses paralysant la riposte alliée, submersion de la Hollande et de la Belgique, bataille en rase campagne entre le poing blindé allemand et les divisions alliées, percée fulgurante ennemie prenant à revers la ligne Maginot et ouvrant la route aux fantassins s’engouffrant en masse sur le territoire français. »
Soit un parfait résumé du plan Manstein.
Le 1er mai, l’agent A 54 transmet les mêmes informations à son contact à la Haye et précise : Attaque sur la Hollande le 10 mai.
L’information est portée à la connaissance des autorités intéressées. Grâce à ce télégramme, la famille royale et le gouvernement hollandais ne seront pas pris au dépourvu, et pourront quitter le pays à temps.
– Les nombreux observateurs sur le terrain confirment de toute part, et le Colonel Gauché, témoigne dans son livre : « Au cours de la seconde quinzaine d’avril et au début de mai, les renseignements, par leur caractère alarmant, vont se faire de plus en plus pressants à l’approche des belles journées du printemps. »
En effet, des concentrations de troupes au nord de la Moselle, face au Limbourg hollandais, à la Belgique, au Luxembourg sont notées par le renseignement français.
– Enfin toujours le 1er mai, à la légation de Suède à Belgrade, l’attaché militaire allemand déclare, au cours d’une réception bien arrosée, que l’offensive est proche, qu’elle sera foudroyante et que Paris tombera le 15 Juin. Il ne se sera trompé que de vingt-quatre heures !
Le 2 mai, le capitaine Paul Paillole des Services de Contre-espionnage témoigne que les Anglais ont, eux aussi, été informés par les SR suisses et tchèques : « L’imminence d’une offensive allemande est apparue aux Anglais. Une réunion des chefs de service des deuxième et cinquième bureaux français et britannique a lieu à l’ambassade d’Angleterre. Nos informations sont confrontées avec celles de nos alliés. Les liaisons sont encore renforcées. (-) Les services de Bertrand (grâce à la machine Enigma) révèlent chaque jour la préparation d’attaques aériennes sur nos terrains d’aviation. Le 6 mai l’antenne du S. R. Allemand de Stuttgart installé au Luxembourg se replie. Les 7 et 8, tout confirme les dispositions offensives de la Wehrmacht. »
Sachant que les renseignements transmis par les agents Roessler et A 54, ont été communiqués aux Anglais, le doute n’est plus permis : leur importance n’a pu en aucun cas échapper à aucun des Alliés.
C’est pourquoi, le même 2 mai, le général Gamelin ordonne au général Condé : « Entrez au Luxembourg. Départ urgent ! »
Le 3 mai, le colonel Oster de l’Abwehr dit à son ami, le colonel Sas attaché militaire néerlandais à Berlin, que le général Keitel en personne lui avait confié que l’attaque contre les Pays-Bas et la Belgique étaient prévues pour les tous prochains jours, sans doute à partir du 8 si le temps le permettait.
Toujours le 3 mai, Le pape Pie XII prévenu par le docteur Joseph Muller, représentant secret au Vatican du groupe de résistance de l’amiral Canaris, demande au Nonce apostolique à Bruxelles et à l’inter-Nonce à la Haye de prévenir les plus hauts responsables belges et hollandais : « l’offensive allemande est imminente ».
Date prévue : Entre le 8 et le 10 mai
Le 4 mai, le nonce apostolique prévient le roi des Belges, et deux jours plus tard le souverain pontife le confirme en personne à la princesse Marie-Josée qui en avisera son frère, le roi Léopold.
Le 5 mai, Mgr Maglione secrétaire d’État du Pape, adresse un télégramme chiffré aux nonces de Bruxelles et de La Haye, annonçant une offensive prochaine sur la Hollande et la Belgique, ce dont les souverains sont avertis.
La même information est confirmée par l’ambassadeur de Belgique au Vatican qui informe Bruxelles téléphoniquement.
Tous ces renseignements proviennent des généraux allemands démocrates.
– Le même jour, le vice-amiral Abrial, commandant la flotte Nord, est averti par l’attaché naval en Hollande. Il transmet l’information au GQG. Le général Giraud, qui commande la VII° armée, et premier concerné par le plan Breda, est également informé par Abrial,
Préventivement et, selon la version d’État « de leur propre initiative », les deux hommes ordonnent alors l’embarquement de troupes dans le cadre de la variante Breda, prévoyant d’amener un premier contingent de la VIIe armée, occuper les îles de Zélande, donc l’embouchure de l’Escaut, à la frontière entre Belgique et Hollande.
Sans doute avaient-ils l’intention de déclencher la guerre à eux seuls, en attaquant deux pays neutres …
Les 4, 5 et 8 mai, le Grand Quartier Général à Vincennes, ainsi que les chefs des 2ème et 5ème Bureaux de l’état-major du général Georges, reçoivent de Roessler de nouveaux renseignements confirmant l’imminence de la percée à Sedan et du coup de faucille en direction de la mer du Nord, ainsi que les derniers détails de l’opération.
– Parallèlement, « une source sûre » fait savoir que le gouvernement hollandais a été avisé le 5 mai, par une très haute personnalité neutre, qu’une attaque allemande était à craindre à bref délai.
– La même source signale qu’un informateur, qui avait déjà annoncé l’invasion du Danemark, fait savoir que l’attaque contre la Belgique, la Hollande et le front Ouest était à prévoir dès le 8 mai au matin en cas de beau temps et, dans le cas contraire, dans un délai de quelques jours. » (Je précise qu’il s’agit de Roessler)
Fin de citation (Colonel Gauché le 2e Bureau au travail)
Nuit du 5 au 6 mai : Les SR français enregistrent : « Prochaine offensive générale, qui englobera les Pays-Bas. »
Dans la même soirée, le Major Sas attaché militaire hollandais à Berlin, informé par son ami le colonel Oster de l’Abwehr, alerte La Haye, que « l’invasion est pour demain ».
La Hollande prend des mesures immédiates (ponts minés, permissions supprimées)
Le 6 mai, le colonel Gauché précise que ses services sont informés que : « L’antenne du SR allemand de Stuttgart stationnée à Luxembourg se replie. Attaque prête. L’armée française, dit-on dans les milieux du commandement allemand, sera incapable d’arrêter les formations blindées en rase campagne ».
– Le même jour, le commandant Gustave Bertrand, agent du chiffre en charge de décrypter les messages les plus secrets de la Luftwaffe codés par la machine Enigma, avertit des préparatifs d’attaque sur les aérodromes français.
– Un renseignement qualifié « de bonne source » par les SR, annonce à son tour : « Prochaine offensive générale qui englobera les Pays-Bas. »
Le même jour, le Pape en personne reçoit en audience privée le prince Humbert de Piémont et son épouse la princesse Marie-Josée de Belgique, pour leur confirmer ces renseignements. Celle-ci en avise son frère le roi Léopold de Belgique, qui transmet les mêmes renseignements aux gouvernements français et britanniques.
– Le soir, l’ambassadeur anglais au Vatican rend compte à son gouvernement : « le Vatican s’attend à une offensive allemande à l’ouest au début de la semaine. (-) Il se dit aussi à la Curie que les opérations peuvent s’étendre non seulement à la ligne Maginot, la Hollande et la Belgique, mais encore à la Suisse. »
– Enfin les mouvements de troupes allemands en direction des frontières du Luxembourg, de la Belgique et de la Hollande sont confirmés à tous les gouvernements. Soit au total 73 divisions concentrées sur la partie du front allant de Kleef à la Moselle.
Le 6 mai en soirée, le colonel Oster recontacte son ami Sas, attaché militaire hollandais à Berlin et lui dit que la date prévue pour l’attaque est le 8 mai. « Les forces allemandes sont en position d’attaque et pourraient déclencher l’offensive dans les 12 heures suivant l’ordre définitif. L’offensive sera probablement précédée d’un ultimatum aux capitales concernées, à très brève échéance. »
Celui-ci informe comme d’habitude l’état-major hollandais et le général Goethals, attaché militaire belge à Berlin.
Le 7 mai, les antennes du SR français au Luxembourg communiquent les objectifs exacts des parachutistes allemands.
Vers 10 heures, l’Auswaertige Amt (Office des affaires étrangères allemand) téléphone à l’ambassadeur de Hollande à Berlin pour demander d’urgence des visas diplomatiques pour quatre importants personnages officiels qui doivent partir pour la Hollande immédiatement. Parmi eux se trouvent Fritz Todt, le grand bâtisseur du Reich créateur de nombreuses autoroutes, Richard von Kuehlmann connu pour avoir été l’un des protagonistes du sévère traité de Brest Litovsk dicté à la Russie soviétique en 1918, et enfin un certain Kiewitz « envoyé personnel du Führer à la chancellerie du Reich ».
Il s’agit de la délégation qui devra porter un ultimatum à la Belgique.
– Peu après, toujours à Berlin, Leonardo Simoni ambassadeur d’Italie, reçoit de l’ambassadeur de Belgique un billet écrit au crayon l’avisant que des motifs sérieux l’obligent à croire inévitable et imminente une attaque contre son pays. Au cours de l’après-midi, note Simoni, « l’inquiétude croit encore. Une réception a lieu à l’ambassade de Suisse. Ce ne sont que des nouvelles désastreuses circulant de l’un à l’autre, visages défaits et bouleversés. Dans le bureau de l’ambassade d’Italie c’est une véritable procession d’officiers et de fonctionnaires agités qui apportent tous la même nouvelle : C’est la guerre totale qui s’annonce ! »
Toujours le 7 mai, l’agent britannique « Sator » confirme aux SR de Londres la date du 10 mai, comme étant celle de l’attaque.
– À Paris, dans la salle de conférence du Luxembourg, l’ex-président du Conseil Pierre Laval, très entouré, parle de l’imminence de l’attaque allemande.
Notons ici que M. Laval, que nous retrouverons bien des fois au cours de cette enquête, semble parfaitement informé de la situation, même si selon la version officielle tous ses braves gens se trouveront très « surpris » au matin du 10 mai…
– À 15h15, on supprime les permissions dans l’armée néerlandaise.
– Dans la soirée, Oster informe son ami que « l’affaire est remise à plusieurs jours ». Le major Sas transmet immédiatement aux GQG hollandais et belges.
– Dans le même temps, les agents français au Luxembourg communiquent les objectifs exacts des parachutistes allemands.
– Les officiers de reconnaissance belges sont mis en pré-alerte. Chaque soir, on ferme les dispositifs d’obstruction, et un certain nombre de dispositifs de destruction sont amorcés.
– Enfin, concernant cette journée de branle-bas, le général Ruby témoigne que, contrairement à ce que prétendent les fanatiques de thèses « incompréhensibles »: « L’aviation a été alertée le 7 mai, par le général Vuillemin. » !
Ce qui, nous le verrons, permettra aux chasseurs français de tendre un piège aux bombardiers allemands au matin du 10 mai. [1]
Dans la nuit du 7 au 8 mai, un pilote français, le colonel François, revenant avec son escadrille après avoir lâché des tracts sur Düsseldorf, signale une colonne blindée ennemie longue de plus de 120 kms se dirigeant tous feux allumés vers la frontière belge. « L’officier fait promptement connaître son observation à ses supérieurs, la jugeant d’une importance capitale. Ils refusèrent de le croire. » (Déposition de Daladier au procès de Riom)
Le 8 mai 1940, nous sommes deux jours avant l’attaque, deux dépêches chiffrées envoyées à Bruxelles par le vicomte d’Avignon ambassadeur de Belgique à Berlin apportent une nouvelle confirmation : la Wilhelmstrasse (ministère des affaires étrangères du Reich) a terminé de rédiger l’ultimatum en forme d’acte d’accusation qu’ils ont décidé d’adresser au Roi afin d’établir un semblant de légitimité à leur action, et l’attaché militaire affirme que l’ordre d’attaquer à l’ouest vient d’être donné par l’OKW.
Renseignement que le colonel Gauché témoigne avoir reçu :
« l’arrivée prochaine à la Haye de trois fonctionnaires de la Wilhelmstrasse qu’on suppose porteurs d’une note ou d’un ultimatum. Ces renseignements, choisis parmi les plus importants, indiquent tous la même intention connue depuis de longs mois (c’est moi qui souligne) et situent l’évènement autour du 10 mai. »
En même temps, l’attaché militaire belge à Berlin câble que le commandement suprême allemand a diffusé l’ordre d’attaque.
À midi, le général Delvoie téléphone de Paris à la 2e section belge pour annoncer : « On croit à une attaque possible à bref délai sur le front : Grand-duché, Belgique, Hollande. Recoupement par ambassade. »
Plutôt étonnant ce message sibyllin au vu de la masse d’information à la disposition des SR français depuis avril, et apparemment la seule communication d’alerte officiellement enregistrée provenant du GQG français en direction de ses alliés belges.
– Le même jour, le colonel Oster, annonce au major Sas le départ du Führer pour l’Ouest, en ces termes: «Le cochon est parti pour le front».
– L’ambassadeur français au Vatican, Charles Roux, recueille le renseignement suivant : « Avant la fin de la semaine, les forces du Reich envahiront la Belgique, la Hollande et peut-être la Suisse. L’invasion de la Suisse n’est qu’hypothétique, mais les autres sont annoncées de source sûre. »
Dans ses souvenirs, il témoigne avoir télégraphié à Paris :
« Mon télégramme dût être à Paris dans la journée du 8. Je ne doute pas qu’il ait été communiqué au G.Q.G. de Vincennes, qui devait, du reste, être en possession d’indices concordants. »
Toujours, le 8 mai les observations aériennes des Alliés indiquent que de nombreux blindés et des troupes allemandes s’acheminent en direction du massif ardennais.
L’alerte générale est déclenchée à 23h15 en Belgique. La France et la Grande-Bretagne en sont informées.
Les observations aériennes des Alliés indiquent que de nombreux blindés et des troupes allemandes s’acheminent en direction du massif ardennais. Il s’agit de la moitié de l’armée allemande, soit des centaines de milliers d’hommes, de chevaux et de véhicules.
Dans la foulée, le bulletin du 2ème Bureau informe le général Gamelin : Alerte en Hollande, suppression des permissions, rappel des permissionnaires, accentuation des mesures de mobilisation.
La radio commente largement la nouvelle et une dépêche de l’agence Havas signale que le président Roosevelt est rentré de Hyde Park plus tôt qu’il n’était prévu, « parce que la situation en Europe lui causait de l’inquiétude. »
Le 9 mai, 75 divisions allemandes gagnent leurs emplacements de départ. Elles se déploient sur une largeur de 400 kilomètres et en profondeur jusqu’aux rives de la Weser et aux monts de Thuringe.
Il y a là 6 armées, 25 corps d’armée, 10 divisions blindées, 3 flottes aériennes, une division aéroportée et des unités de commandos ; soit environ deux millions d’hommes, attendant anxieusement le mot de code « Dantzig », qui leur permettra de s’élancer.
Ce jour-là, à Bruxelles, après information fournie par un journaliste allemand, le directeur du service de presse du ministère des Affaires étrangères fait vérifier par la police que l’ambassade d’Allemagne est bien en train de détruire par le feu tous les dossiers.
L’informateur, a précisé que « Cela commence demain à 5 heures. (-) je ne veux pas être dans le bain. » Il prendra le train pour Aix la Chapelle dans l’après-midi.
Du Vatican, l’ambassadeur de Belgique rend compte par téléphone à son ministre des Affaires étrangères de l’imminence de l’attaque.
L’après-midi, un observateur clandestin avertit le PC des SR à Longwy de la mise en place de matériel de franchissement sur le Rhin, et le dernier message de Roessler et de ses amis officiers est transmis au GQG de Vincennes : « Attaque le 10 mai, dans la trouée de Sedan. Plan jaune maintenu. Cinquante divisions massées le long des frontières belges et hollandaises. Guderian et Hoth prêts à foncer sur Sedan. » La dépêche se termine par ces mots : « Tenez bon ! »
Dans la matinée le colonel Oster a informé Sas : « Cet après-midi, Hitler a fixé le déclenchement de l’offensive sur l’ensemble du front Hollande, Belgique, Luxembourg pour le 10 mai à l’aube. L’ordre peut encore être annulé, mais pas au-delà de 21 heures ce soir. »
Dans la soirée les deux hommes dinent ensemble pour la dernière fois et Oster confirme l’attaque pour le lendemain à l’aube.
Le même soir, le général Ironside, chef d’état-major impérial de l’armée britannique, note dans son agenda personnel qu’il a bien reçu l’information selon laquelle : « Les Pays-Bas seront attaqués dans quelques heures par la Wehrmacht. »
Vers 20h30, la deuxième section de l’état-major général de l’armée française reçoit une communication téléphonique chiffrée de l’attaché militaire belge à Berlin, annonçant que l’invasion est prévue pour le lendemain à l’aube. Un contrordre demeure néanmoins possible jusqu’à 21 heures. Mais le colonel Georges rappelle vers 22h30 pour prévenir qu’aucune annulation n’était intervenue.
Vers 21h, la 2e section des SR belges reçoit un cryptogramme de Berlin en provenance du colonel Goethals : « Informateur habituel (c’est-à-dire Oster) : Le Führer a décidé aujourd’hui après-midi, déclenchement offensive générale sur front Hollande-Belgique-Luxembourg le 10 mai à l’aube. Un contrordre toujours possible ne pourra toutefois plus être donné après 21 heures pour raisons technique. Réserve d’usage. Activité aux abords OKW normale. »
À 22 heures, Oster ressort du Haut commandement de la Wehrmacht, il retrouve Sas, qui l’attend à l’extérieur : « Mon cher ami, cette fois, c’est vraiment fini, il n’y a pas eu de contrordre. »
Information confirmée par le major Sas, à 22h35.
Immédiatement les Hollandais et les Belges rappellent la totalité du personnel de leurs quartiers généraux, et lancent l’alerte générale.
Les derniers permissionnaires sont rappelés, les ponts sont minés.
En Belgique vers 22 heures les observateurs aux frontières signalent les mouvements de troupes, révélateurs de l’imminence de l’agression.
Le même soir, le représentant du Service de Renseignement français à la Haye reçoit communication du même renseignement : « L’attaque aurait lieu dans la nuit. Objectif, la Hollande et Sedan ».
Il informe son gouvernement que « l’invasion est pour demain ».
À la même heure, les ministres belges du cabinet Pierlot se réunissent d’urgence au ministère des Affaires étrangères, et s’interrogent : Faut-il appeler immédiatement à l’aide la France et la Grande-Bretagne ? Finalement, ils décident d’attendre.
Ce qui est compréhensible, ils ont donné l’alerte à leurs alliés, ceux-ci vont pouvoir se préparer, l’essentiel est fait. Autant laisser Hitler commettre la faute d’attaquer deux pays neutres.
Ce soir-là, à La Haye, le ministre de la Défense Dijxhoorn et les membres du cabinet de Geer se sont séparés vers 2h du matin.
Le ministre passera la nuit dans son bureau. Par mesure de sécurité, ses deux principaux collaborateurs logent déjà au ministère depuis quelques jours : « Il vaut mieux demeurer habillé a conseillé le ministre. Le message reçu de Berlin est si affirmatif que nous devons être prêts à toute éventualité. »
22h20, l’ambassadeur de France au Luxembourg est prévenu de l’imminence de l’attaque « à quatre heures du matin » le lendemain 10 mai. La Grande Duchesse et sa cour font leurs bagages pour venir se réfugier en France.
22h30, le 3e Régiment de Chasseurs Ardennais passe en état d’alerte.
22h35, le colonel Sas appelle le lieutenant-colonel Post Uyterweer attaché naval du ministre de la défense hollandaise, et sans préambule lui crie : « Post, vous reconnaissez ma voix, je suis Sas, à Berlin. Je n’ai qu’une chose à vous dire : Demain à l’aube ! Tenez bon ! Voulez-vous répéter ? Vous comprenez ce que je veux dire, n’est-ce pas ? »
23h45, « POLUX », une antenne des SR français signale au Bureau central de la circulation, du capitaine Kleinman à Longwy :
« D’importants mouvements de troupes allemandes à la frontière germano-luxembourgeoise à Palzem ».
Le général Navarre témoigne que « Dans la nuit du 9 au 10 mai, les réseaux d’alerte, (postes radios confiés à des sympathisants et à des gendarmes luxembourgeois) mis en place par le SR français à la frontière germano-luxembourgeoise, se manifestèrent à partir de 23h45. L’alerte fut également donnée par les antennes de Lorraine de Belgique et de Hollande. »
À 23h30 aux Pays-Bas, la reine Wilhelmine et toute sa famille, descendent dans l’abri souterrain du palais royal, dans le même temps la marine et l’armée néerlandaise sont mises en état d’alerte et les destructions programmées.
En Belgique le 10 mai à 0 heures vingt minutes, le Grand quartier général donne l’ordre de se tenir prêt à faire jouer les destructions, et les 750 000 soldats belges sont alertés.
À 0h30, l’ambassadeur de France à Bruxelles, Paul Bargeton téléphone à Paul Reynaud, qui cumule les charges de ministre des affaires étrangères et président du Conseil, pour confirmer l’attaque imminente.
À la même heure, au Luxembourg, l’armée est mise en état d’alerte. Le ministre de France téléphone lui aussi au Quai d’Orsay.
– 1h30, tous les postes de l’armée belge reçoivent le mot codé : «René». C’est l’alerte réelle ! Les divers régiments montent en ligne de la Meuse aux Ardennes, les aéroports sont alertés et le fort d’Eben-Emaël tire les six coups de canon réglementaires, pour confirmer le branle-bas de combat.
– 2h50, la Grande duchesse de Luxembourg et son mari quittent la capitale et se dirigent vers la frontière française. C’est la route de l’exil, et de la résistance.
À 3h du matin, l’action allemande se déclenche. Tandis que les parachutistes s’apprêtent à sauter sur leurs objectifs, les avions s’envolent pour aller bombarder les aérodromes alliés.
Peu après 3h, d’importants passages d’avions sont signalés en Belgique, en provenance de l’est. Les bombardiers allemands envahissent le ciel, la DCA tire. Dijxhoorn appelle personnellement le service central de garde aérienne.
– 3h30, les services de la marine annoncent les premiers bombardements à Waalhaven et à Bergen.
– 3h35 le réseau d’alerte luxembourgeois de Vernier signale la prise de possession des ponts sur la Sûre et la Moselle. Ils seront franchis une heure plus tard par la Wehrmacht.
– 3h45, en Belgique, l’ordre de mise à feu des destructions routières est transmis aux groupes d’artificiers de Saint-Vith, de Burg, de Reuland, de Gouvry et de Sommerain pour le secteur du 3e régiment de chasseurs ardennais. Les premiers ponts et routes sautent dans les minutes qui suivent.
Enfin, à 3h50 le GQG des forces terrestres hollandaises à Korte Voorhout annonce la poussée des Panzer en direction d’Arnheim et de Roermond, tandis, le colonel van Alphen sous-chef d’état-major, avertit le général Winkelman : « Franchissements de la frontière à Vaals et à Kerkrade. »
La France attend sereinement un choc inévitable
« Nous vaincrons, parce que nous sommes les plus forts » proclamait Paul Reynaud le 10 septembre 1939, alors qu’en tant que ministre de l’économie, il venait de relever les finances de la France.
Deux mois plus tôt, le 4 juillet, le général Weygand venait d’affirmer à Lille : « Je crois que l’armée française a une valeur plus grande encore qu’à aucun moment de son histoire : elle possède un matériel de première qualité, des fortifications de premier ordre, moral excellent et un Haut-commandement remarquable. »
En ces premiers jours de mai 1940, les tankers américains débarquent encore des tonnes de pétrole dans les ports français, les grandes raffineries tournent à plein régime, les réservoirs stratégiques construits spécialement sont pleins à ras bord, tout comme les dépôts d’approvisionnements et d’armement.
Des millions d’hommes, même si on les a contraints à se tourner les pouces pendant huit mois, savent que l’issue est proche et l’attendent avec une impatience partagée par toute la population : « Qu’on en finisse une bonne fois pour toute ! »
On retrouve la même détermination dans les usines qui tournent à plein rendement. Le président Daladier a confié à Raoul Dautry la mission de terminer le réarmement et fait taire toute contestation. L’union sacrée est faite. Il a éliminé depuis deux ans toute menace de sabotage ou de coup d’état civil, en s’attaquant au noyau dur formé par les chefs communistes aux ordres de Moscou, mais également aux forces réactionnaires d’ultra droite. Patronat et syndicats marchent, bon gré-mal gré, main dans la main et les députés communistes et de la droite nationaliste ont fini par voter d’un même élan les crédits nécessaires à un réarmement intensif.
Les réserves d’or sont suffisantes pour payer les armes commandées à l’étranger et assurer la production nationale.
Au 10 mai, chars, canons et avions sortent chaque jour par dizaines des usines réparties sur tout le territoire.
La France est prête, et attend l’ennemi de pied ferme.
Toute la France ? …
À l’exception de l’armée française au grand complet, qui dort …
Officiellement, à Paris, il n’y a pas lieu de s’attendre à une attaque.
Le général Gamelin, commandant en chef des armées alliées parti se coucher vers 22h, dort sur ses deux oreilles dans sa forteresse de Vincennes et le Grand Quartier Général semble avoir été transformé en château de la Belle au Bois dormant …
Non seulement on n’a pas expédié un seul homme, pas un canon sur la ligne de front pour tenter de combler cette brèche dénoncée depuis des mois, mais tout le monde est en vacances !
C’est le weekend de Pentecôte et les permissions, logiquement suspendues le 14 avril, ont été rétablies le 26. Dans certaines unités jusqu’à 15 % des effectifs manquent à l’appel !
Les généraux Prételat et Billotte, responsables du front Nord depuis Dunkerque jusqu’en Alsace, le général Besson qui commande le 3e Groupe d’Armées stationné en Alsace du Sud, ainsi que le général Bourret qui commande la 5e Armée en Alsace du nord, sont absents.
Sur les 94 divisions françaises du front Nord-Est, 78 n’ont plus de chefs !
Absence de commandement qui n’a pas été sans inquiéter les Services Secrets. Pourtant le 9 mai, à l’état-major de l’Armée à Paris, lorsque le commandant Baril du 2e bureau suggère au général Colson, responsable des effectifs, de rappeler les permissionnaires, celui-ci lui fait cette réponse « surprenante » : « Rappeler les permissionnaires ? Pour quoi faire ? Ce n’est pas demain qu’ils auront à se battre ! L’Allemagne se désagrège ! »
(Cité par l’encyclopédie « La France contemporaine » – 1971)
Tandis que les officiers allemands démocrates de l’OKH risquent leur vie pour assurer la victoire alliée, le même soir le général Huntziger, commandant la IIe armée sur laquelle portera tout le poids de l’attaque, est à son QG de Senuc et se prépare à aller sereinement inaugurer le foyer du soldat à Vouziers.
Le lieutenant-colonel Paquin, chef du 3e Bureau va l’accompagner. Tandis qu’il s’habille, un des hommes de son service, le capitaine de Lombarès, lui apprend qu’un ingénieur des Ponts et Chaussés belge vient de l’informer que l’attaque allemande est attendue pour le lendemain à l’aube.
Réponse de Paquin : « Bon, mettez-moi tout cela par écrit… »
Avant son départ, Huntziger s’arrête au PC du 18e Corps d’armée à Dun-sur-Meuse et entre au troisième bureau, où veille le commandant Rollot. Ce soir-là, Rollot note sur son carnet de route : « vers 20 heures, le Général Huntziger passe à mon bureau. Je lui dis que nos aviateurs ont pris des photos sur la Sûre, que de multiples passerelles y apparaissent tout récemment construites. Le général me répond qu’il ne peut s’agir que d’exercices et il ajoute, un peu vivement : « Les Allemands ne sont pas fous ! Ils ne vont pas risquer de se mettre en ce moment les 26 divisions belges sur le cul en violant la Belgique ! » Puis il emmène son staff à Vouziers, à 50 kilomètres de Sedan, pour assister, en grande tenue de soirée, au cinéma Stella, à une représentation du théâtre aux armées : 20 chansons animées, mises en scène par Xavier de Courville suivies de la comédie : Le mariage forcé, pièce de Molière en un acte.
Il rejoindra son quartier général à Senuc le 10 mai, à deux heures du matin.
Quant au général républicain Corap, commandant la IXe armée également concernée au premier plan, il est à son poste. Réveillé à 4h45 par les sirènes d’alerte de son QG de Vervins, il rejoint son bureau avec son ordonnance le capitaine Audigier et fait réveiller ses hommes à la hâte.
Pourtant, l’ordre d’alerte N°3 ne lui parviendra qu’à 6 heures du matin et l’ordre de mise en route ne sera donné qu’à 6h30.
Le temps de réveiller les troupes et de les préparer, la plupart des grandes unités ne bougeront pas avant midi. Soit douze heures de retard, aux mieux, pour les plus légères !
Alors que chaque minute compte …
Et ce scénario, se reproduisant sur tout le front, pénalise lourdement la manœuvre Dyle-Breda qui prévoyait de bloquer au plus vite et au plus loin, l’avance allemande.
Ainsi, les premières divisions : 3e DLC, 1ère Brigade de Spahis, et 5e bataillon de chars de combat (BCC) qui devaient entrer au Luxembourg dès la violation de la neutralité du territoire, n’y pénètreront qu’à partir de 7h30, soit quatre heures après l’attaque, pour se retrouver presque immédiatement face aux éléments avancés de la Wehrmacht. « L’aide » française s’arrête ainsi à quelques kilomètres seulement de la frontière.
Selon certains auteurs qui semblent trouver cela tout à fait normal, les Services de renseignement n’auraient donc informé de rien les plus hauts responsables français.
Pourtant, outre les renseignements fournis par ses SR, difficile de prétendre que le généralissime ne s’y attendait pas un peu, puisque dès le 16 décembre 1939, alors qu’il reçoit à Vincennes son ami Jules Romain, il lui confie : « J’imagine que la période d’immobilité actuelle sera rompue par une action dans laquelle on jouera le tout pour le tout… La décision se produira alors bien plus vite qu’on ne le croit… Oui, ce sera rapide et terrible ! »
Et lorsque Romain l’interroge quant à la date probable, son ami lui répond franchement : « La fin de janvier n’est pas hors de question. » Puis après réflexion : « Mai. Oui, mai. C’est plus probable. »
Et tout aussi difficile pour lui et ses généraux d’ignorer, la veille, les principaux titres des quotidiens parisiens : Le 9 mai Le jour écho de Paris, annonce : « Alerte aux Pays-Bas. Une véritable atmosphère de mobilisation en Hollande. Des précautions spéciales ont été prises sur les côtes. La population est calme. La Hollande aura ainsi, après le rappel des pensionnaires sous les drapeaux, l’armée la plus nombreuse qu’elle ait jamais possédé au cours de son histoire. » Le Journal affiche en première page : « La Hollande qui mobilise toutes ses forces, attend, sûre d’elle-même, les événements. »
Quant à la blague qui court dans l’armée, elle résume assez bien le sentiment général :
– Tu as vu, les Hollandais ont rappelé les permissionnaires ?
– Heureusement qu’on n’est pas Hollandais… »
Ces quelques faits, connus de tous, illustrent ce que certains décrivent comme une « vision inexplicablement mal appropriée des évènements ». Admirable euphémisme …
Le roi du conte s’éveille enfin
C’est donc, à 6h 30, que serait enfin apparu le général Gamelin.
Selon Minart : « Son visage ne décèle aucune émotion apparente, aucun trouble intérieur. Le commandant en chef a gardé ce calme souple et cette affabilité un peu doucereuse qui ont tant contribué à donner à sa personne ce charme de séduction, auquel ceux qui n’avaient avec lui que des contacts superficiels ou mondains, ont su rarement résister ».
Tout guilleret après une sereine nuit de repos, il envoie alors l’élite des forces alliées au secours de la Hollande et de la Belgique. En plein dans le traquenard qu’il est censé parfaitement connaître même si, aujourd’hui encore, les historiographes du monde entier s’obstinent à feindre ignorer les renseignements sûrs et recoupés, dont dispose son état-major.
Un des problèmes que nous posera cette enquête sera donc de définir dans quel mesure le chef suprême des armées alliées, – dont le cerveau était gravement atteint par les effets dévastateurs de la syphilis et qui était soigné dans le plus grand secret à l’hôpital militaire du Val de Grâce – fut ou non, instruit des évènements par la garde rapprochée de ses officiers d’état-major l’entourant jour et nuit dans son château de Vincennes, contrôlant les visiteurs comme, peut-être, les informations qu’il convenait, ou non, de lui transmettre. Ce qui autoriserait à penser que Gamelin, placé à la tête de l’Armée par Pétain et maintenu à son poste par Daladier, pourrait avoir été la marionnette qui convenait pour endosser la responsabilité de la défaite.
Donc, pendant que celui-ci, semblant totalement inconscient des réalités va, en sifflotant, donner l’ordre à ses meilleures divisions de se jeter dans le « piège belge », les colonnes blindées allemandes du groupe d’armées A, devenues « invisibles » marchent vers Sedan.
[1] Voir les détails de ce piège tendu à la Luftwaffe dans les tomes 2 et 5 de la série Le Grand mensonge du XXe siècle.
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