Tout conte de fée – comme tout mensonge d’État, et toute religion d’ailleurs – repose sur un principe moral bien définie. Un concept apparemment logique, apte à satisfaire les plus curieux comme les plus ignorants, puisqu’on nous demande de « croire » à un nombre infini d’invraisemblances souvent qualifiées de miracles, fatalités divines, hasards, et autres décisions « incompréhensibles » …
En deux mots, un mensonge en mesure de contenter la curiosité des Peuples, se doit de reposer sur un principe dramaturgique que chacun pourra d’autant plus aisément adopter qu’il sera nébuleux.
Or, quels sont les deux principes fondamentaux ? Le Bien et le Mal.
Le problème étant qu’il faut les définir.
Pour ce qui concerne ce second conflit mondial on choisit donc d’opposer « démocratie et dictature », ce qui peut se comprendre, à condition toutefois de ne pas écarter le fait que le second de ces concepts fut commun à deux idéologies apparemment contraires : « communisme » et « fascisme ».
Pour ce qui est du communisme, il est couramment admis qu’il serait basé sur l’idée de solidarité : On met tout en commun, afin que personne ne soit laissé pour compte. Soit apparemment le principe républicain de fraternité.
À contrario le fascisme propose que chacun ait sa chance dans un monde qu’il aura organisé pour servir ses intérêts propres. Soit la logique impérialiste par excellence du « chacun pour soi et que le meilleur gagne ». Ceci même si, à leur début, le fascisme italien et le nazisme surent se parer de couleurs socialistes. Prétentions républicaines de solidarité vite abandonnées pour ne plus servir qu’une logique autoritaire basée sur la force.
Reste la seconde question : Quelle est la valeur communément accordée au mot « démocratie » ?
Question infiniment délicate de nos jours, car nous ramenant à l’Empire britannique, dont l’étonnante cohésion depuis des siècles résulte de son aptitude à s’adapter aux bouleversements, puisqu’il est parvenu à unir ses colonies et dominions autour d’une absence totale de principes politiques.
En effet, contrairement aux démocraties républicaines, l’Angleterre n’a jamais exprimé clairement l’idéal vers lequel elle tend en rédigeant une Constitution, se contentant de prétendre qu’une suite de décrets ayant modifié les rapports de force entre le Roi, le Parlement et le Peuple depuis l’an 1215 jusqu’à nos jours serait largement suffisant pour exprimer sa conception du monde.
Petit arrangement avec la logique politique, qui n’allait pas être sans conséquences …
Tout commence en 1649, lorsque les nobles et les bourgeois anglais coupèrent la tête du roi Charles 1er, puis rétablirent la royauté, inventant ainsi une sorte de démocratie, très particulière : Le roi ne serait plus qu’un paravent, les puissances militaire, religieuse, et d’argent prenant de fait le contrôle du pays.
Ainsi, en sauvegardant au bout du compte le rôle du roi, le principe directeur restait celui de la Monarchie de droit divin : « Dieu est mon droit », impliquant que naître riche ou pauvre serait une volonté divine qu’il importe de respecter, sans chercher à changer l’ordre établi.
Ce qui permit, au cours des siècles, d’oublier de rédiger une quelconque constitution qui lierait moralement le système politique, ne serait-ce qu’en définissant nettement les principes censés être appliqués.
C’est donc dans ce montage hybride visant à impliquer le Peuple dans les décisions d’un Parlement légitimé par la personne du roi, donc par Dieu, que l’on décida d’agrandir le cercle des puissants afin de renforcer encore le pouvoir exécutif.
Selon ce principe, aussitôt qu’une personne, quelles que soient ses origines, contribuait d’une manière ou d’une autre à la fortune ou à la renommée de l’Empire, elle se retrouvait anoblie, puis intégrée à l’élite. À une échelle plus modeste, on lui donnait accès à quelques clubs très fermés, ou à certains réseaux tels la Franc-maçonnerie.
De nos jours, ce mode de gouvernement est maintenu par ce que les Britanniques revendiquent comme une « tradition », un respect du passé et autres arguments populistes. En réalité, une manière bien à eux de ne se lier à aucun principe autre que l’intérêt immédiat, puisque le Parlement conserve juridiquement le pouvoir de modifier par une simple loi les institutions du royaume ainsi que les droits fondamentaux des sujets, sans être astreint à respecter une constitution nettement établie.
Soit ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui, de manière plus fleurie, les impératifs de la « real politic » qui allait lui donner le prétexte moral nécessaire à la construction d’un Empire.
Un Empire indispensable au développement du pays puisque la Grande Bretagne n’a dû sa prospérité qu’à sa capacité à s’enrichir au détriment des autres. Sans cette manne ses populations étaient réduites à la famine, ou à l’exode.
Le fait d’habiter une île sans grande ressources avait donc d’abord poussé les Anglais à envahir la France au cours de la Guerre de cent ans, puis à construire une flotte qui leur donnerait enfin un accès sans limite à ces richesses qui leur manquaient tant.
Il ne faudra donc jamais perdre de vue que l’Angleterre était, et demeure, une monarchie agressive. Le fait qu’elle soit devenue au fil du temps une monarchie parlementaire et que son souverain n’ait plus le pouvoir de décider seul de son destin ne changeant strictement rien à l’esprit de son gouvernement, puisqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale les parlementaires des deux Chambres étaient toujours, pour la plupart, soit aristocrates de vieilles souches, soit des industriels ou financiers anoblis, ou distingués par leur rang de fortune.
Ceci même si le Parliament Act, adopté en 1911, réduisait notablement le pouvoir de la Chambre des Lords pour accorder le pouvoir législatif à la Chambre des Communes – dont les membres représentant chacun une circonscription sont toujours élus au suffrage universel – puisqu’en réalité l’accès en politique restait, sinon en principe du moins en pratique, interdit aux gens du peuple, en tous cas sans grande ressources, car il fallait payer de lourdes charges pour pouvoir se présenter à des élections.
La société anglo-saxonne des deux côtés de l’Atlantique fonctionnait donc, et fonctionne toujours, sur ce qu’il est convenu d’appeler « la méritocratie ». En d’autres termes : Seul celui qui, par ses talents quels qu’ils soient, pourra renforcer le système survit. Et tant pis pour les autres !
Ce qui nous amène à résumer cette forme très particulière de gouvernement comme la volonté clairement affichée de maintenir les privilèges des « plus forts », ceux qui « ont réussi ».
En un mot : Une ploutocratie.
En fait, il s’agissait surtout d’affermir son pouvoir personnel en se débarrassant du contre-pouvoir religieux, soit une forme subtile de dictature.
Pour bien comprendre la portée de cette décision d’Henri VIII, il convient de rappeler que, tout comme le Sénat de la Rome républicaine s’appuya sur les prêtres pour légitimer l’avènement du système impérial et la divination de la personne de l’Empereur, donc la fin de la République, la société chrétienne avait amené la même perversion du système afin de spolier les Peuples de leurs droits légitimes à la démocratie.
En effet, si l’on veut bien se souvenir que les principes essentiels de gouvernement des sociétés humaines furent, depuis le début de l’humanité, appuyés sur trois pouvoirs : Celui du Roi, celui du Peuple et enfin le pouvoir religieux censé servir d’arbitre impartial, le fait d’unir durablement royauté et religion par une convergence d’intérêts n’avait rien d’innocent, car le fait de laisser face-à-face deux pouvoirs, – d’un côté Royauté et Religion et de l’autre le Peuple – amène systématiquement une confrontation dans laquelle ce dernier est rarement vainqueur …
Or, Henri VIII en instituant une religion d’État, donc lui étant entièrement soumise, allait encore plus loin dans sa quête de pouvoir absolu et de domination sans partage sur son Peuple.
Et nous constatons qu’avec la réforme protestante « luthérienne » il s’agit par opposition à cette sorte de « coup d’état » d’Henri VIII, d’une remise en question de cette déviation que fut l’alliance de l’église catholique, en théorie puissance uniquement spirituelle, avec une puissance matérielle telle la royauté.
N’oublions pas en effet que cette notion de royauté héréditaire « de droit divin » n’existait pas dans l’organisation politique originelle des peuples d’Europe. Avant cette déviation, tout comme au temps de la république romaine, le chef était élu.
Et personne ne s’étonnera de ce que cette réforme ait vu le jour dans les anciennes contrées païennes dites « barbares » de tous temps opposées à la Rome impérialiste …
Car en histoire, tout est lié. Sans cesse.
Retenons donc de ses leçons que n’ayant que les apparences du protestantisme réformé – puisque l’idée essentiellement catholique de « droit divin » et de prédestination est préservée – ce protestantisme de circonstance instauré par Henri VIII – puis encore développé par la Reine Elisabeth 1ère qui dosera soigneusement les apports de la Réforme et les principes catholiques afin de ne pas nuire aux principes de monarchie héréditaire – doit être considéré comme une autre différence essentielle entre les pays anglo-saxons et les pays réellement protestants réformistes en majorité d’Europe du Nord, puisque même si les fondateurs du mouvement tels Luther, Calvin, ou Zwingli, ne remirent que partiellement en question l’idée de légitimité divine, leurs successeurs, après la Guerre de trente ans, amenèrent le concept d’égalité de chacun au regard de Dieu et entre les hommes.
Soit une remise en cause progressive, mais sans équivoque, de l’idée de prédestination, donc de droit de succession monarchique, et fondement des principes républicains.
Puis vint le 18ème siècle, dit « des Lumières », au cours duquel les Rois accordèrent de plus en plus de pouvoirs aux représentants des Peuples.
À l’issue de ce changement profond, on rédigea en 1776 la déclaration d’Indépendance des États-Unis puis, avec la Révolution française de 1789, la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.
Moment de l’Histoire des civilisations, où commencèrent à s’affronter deux conceptions du monde :
– D’une part, celle de la Démocratie républicaine basée sur un principe de solidarité : « Liberté, égalité, fraternité » et sur les droits de l’Homme.
Modèle de pensée impliquant l’idée, d’influence protestante mais également suivie par une catégorie importante de catholiques, selon laquelle l’homme est responsable de son prochain et ne peut s’en remettre uniquement à la volonté de Dieu. Qu’il n’y a aucune « fatalité » ou punition divine, et que son devoir est d’élever les autres jusqu’à les amener à un pied d’égalité. Principes de solidarité suivis à ses débuts par la toute jeune République américaine.
– Et de l’autre les conceptions royalistes, selon lesquelles Dieu, en régisseur éclairé, aurait donné à chacun selon ses mérites : Au Roi un trône, au Misérable sa charge, et au Puissant la fortune. Et qu’il n’y aurait rien à changer à cette règle du « Chacun pour soi et Dieu pour tous ».
Cette différence essentielle dans la conception même de la politique et des rapports humains fut, pour bonne part, à l’origine des guerres du 20ème siècle car la logique anglo-saxonne qui finit par s’imposer aux États-Unis, basée sur la philosophie darwiniste et eugéniste selon laquelle « seul le plus fort survit », mais également sur la légitimité divine également accordée par extension aux gouvernements dits « démocratiques », ne pouvait que s’opposer aux notions de solidarité et de laïcité proposées par les Républiques.
Ainsi, même si l’on peut avancer que l’Angleterre « protestante » fut le « berceau de la Démocratie » car dans l’Histoire récente elle fut la première à avoir coupé la tête de son souverain pour imposer l’autorité d’un Parlement, elle ne devint jamais une République au sens français du terme, puisqu’elle s’abstint toujours de trancher sur les questions essentielles de « Fraternité » donc de solidarité, mais également « d’Égalité » entre les hommes et les races devant la Loi, pour revenir très rapidement aux conceptions catholiques de droit divin et de pouvoir héréditaire, mais également impérialistes de « suprématie de la race blanche » sous couvert de christianisme et du « devoir » de civiliser.
En effet, la seule notion commune adoptée fut celle de « Liberté » car, nous l’avons vu, celle-ci est adaptable à toutes les sauces, notablement lorsqu’il s’agit de faire la guerre à un pays, ou d’y fomenter une révolution, au nom de la « liberté d’entreprendre ».
D’ailleurs comment l’Angleterre aurait-elle pu adopter des principes d’égalité, ou abandonner l’excuse d’une « mission civilisatrice » soi-disant chrétienne, puisqu’elle entrait avec Oliver Cromwell, grand apôtre de cette « démocratie » de circonstance, dans l’ère de ses conquêtes coloniales, donc de l’esclavage ?
Une conception du colonialisme que ne renia pas la droite française, tout aussi anti républicaine et royaliste que les Britanniques.
Et nous avons dans cette communauté d’intérêts impériaux la genèse de la future alliance des partis de droite européens, lorsqu’il s’agira d’amener Hitler à déclarer la guerre à l’URSS. Et donc les raisons pour lesquelles il fallait absolument éviter de voir sa faible armée détruite dès la Bataille de France. Mais n’anticipons pas.
Voyons plutôt de quelle manière les philosophes parvinrent à traduire cette opposition fondamentale dans l’esprit des Peuples, car on aura bien compris que, sans une propagande parfaitement orchestrée autour d’une idéologie définie, il est difficile de s’en faire obéir.
Pour ce qui concerne les Démocraties anglo-saxonnes s’imposa donc fort logiquement l’idée selon laquelle l’intérêt de tous serait l’addition des intérêts particuliers.
Thèse s’appuyant sur les écrits du philosophe et économiste du 18ème siècle Adam Smith soutenant que l’Homme, étant essentiellement motivé par la perspective d’améliorer avant tout son propre sort, agirait In fine quand même pour le bien de la société toute entière, puisque les humains étant dépendant les uns des autres, chacun est utile à tous.
Ce qui revient à dire que le colonialiste ou l’esclavagiste finit de toute façon, au bout du compte, par faire évoluer dans le bon sens les peuples soumis, ou que le puissant, même s’il tient ses ouvriers dans la misère, le fait pour leur bien, puisqu’il leur offre la possibilité de travailler, donc de survivre.
Soit, là encore, la logique impérialiste dans sa plus belle conception.
Conception contredite par la Démocratie républicaine d’Europe continentale, défendue à la même époque par Jean Jacques Rousseau, pour laquelle l’intérêt général prime sur le particulier.
Soit une des idées fondatrices de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen qui dans son article six précise : « La Loi est l’expression de la volonté générale. »
Ce qui implique évidemment un consensus autour d’une morale bien définie interdisant d’aller contre l’intérêt général, et ramène à son article deux : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. »
Texte évidemment complémentaire de la déclaration d’indépendance des États-Unis : « Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. »
C’est donc sur ces principes affirmant que le citoyen est au service d’un État, lui-même garant de la Constitution, que le grand mouvement démocratique républicain ayant enthousiasmé les États-Unis et l’Europe en portant haut les idées humanistes de paix universelle, de justice sociale, d’égalité des droits et de respect du droit des Peuples – donc anti-esclavagiste et anti-impérialiste – animé par des idéalistes puissamment soutenus par leurs opinions publiques, mais également par le grand capital national, fut fondé.
Et l’on ne s’étonnera pas qu’il déplaisait tant – et déplait toujours malgré les apparences – au Grand capital international apatride bien plus partisan des principes : « Dieu est mon droit », « Moi d’abord » « le plus fort a raison » et tout ce que l’on commence à si bien connaître, en ce début de 21ème siècle, de la morale anglo-saxonne.
Pour résumer : Le concept de Démocratie n’a pas, pour les Anglo-saxons, le même sens que celui que nous lui donnons en France, et plus largement dans nos vieilles sociétés européennes : Un Anglais ou un Américain, raisonnera selon le principe darwinien de la sélection naturelle et de volonté divine, alors que dans notre conception, largement influencée par l’idée républicaine d’égalité et de fraternité, mais également dans l’esprit des démocraties protestantes des pays nordiques, même monarchiques, ou encore de certaines Républiques, même à majorité catholique, il convenait, et c’est d’ailleurs toujours vrai aujourd’hui car trop l’ont oublié, d’aider le plus faible en l’éduquant et en l’élevant. De se montrer solidaire, afin de lui permettre d’être votre égal.
Tout ceci en respectant la part du pouvoir spirituel comme indépendant des deux autres, puisque concernant uniquement la conscience des Peuples censés avoir un droit de vote débarrassé de toute influence « divine ». Ce principe de laïcité, inscrit dans la Constitution, remplace donc le pouvoir politique d’une Église réputée trop investie dans la sauvegarde des principes monarchiques.
Le principe de « monarchie de droit divin », selon lequel Dieu ordonnerait le monde selon Sa volonté, que la richesse comme la pauvreté des sujets dépendrait de Son unique autorité et qu’il n’y aurait pas à s’y opposer, disparait.
Ainsi l’église catholique, en tant que soutien de la monarchie et de « l’ordre divin », a perdu son pouvoir à la Révolution française, et le général Bonaparte, propagateur de cette idéologie nouvelle en Europe, a immédiatement été considéré comme l’ennemi à abattre par les tenants des principes monarchiques.
En tous cas, jusqu’à ce qu’il se fasse couronner Empereur par le Pape… »
Fin de citation Le Grand mensonge du XXe siècle Tome 2 Controverses sur quelques trahisons « oubliées »
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