Les archives personnelles du général Gamelin, dont le Journal de Marche du Cabinet Gamelin composé de plusieurs volumes représentant environ 3 000 pages, dans lequel il avait noté au jour le jour ses activité jusqu’à son limogeage, connurent le même destin que des milliers d’archives compromettantes puisque que ses carnets de notes et agendas personnels contenues dans deux grandes malles, furent volés en absence de son épouse, par un officier envoyé par le ministère de la Défense, moins d’une heure après le décès du général Gamelin à l’hôpital du Val de Grâce – et avant même que Mme Gamelin en soit avertie – ceci juste avant que les officiers des archives de Vincennes puisse venir apposer les scellées sur les portes du logement.
Parmi les nombreux témoins de ce vol, le général de Cossé Brissac, responsable en ce temps des archives de l’Armée, a rédigé à l’intention de l’historien britannique Martin Alexander, une lettre résumant assez bien les faits.
D’autres témoins, dont le fils du général Petibon, aide de camp du généralissime, et le colonel Le Goyet, autre gardien des archives et auteur d’une biographie très connue du généralissime intitulée Le Mystère Gamelin, ont attesté de l’existence de ces documents.
Voyons pour commencer comment le général de Cossé Brissac a présenté les faits :
Lettre du 6 avril 1983 du général de Cossé Brissac à Mr. Martin Alexander du département d’histoire de l’Université de Southampton, suite au vol du Journal de marche du Cabinet Gamelin.
Monsieur le Docteur,
J’ai bien reçu votre lettre substantielle du 23 mars 1983. Je sais vos hautes qualifications historiques et je suis très honoré que M. Jean Vanwelkenhuyzen vous ait signalé mon nom.
Je vous ai lu avec beaucoup d’attention et d’intérêt. Cette lecture m’incline à admettre la probabilité de l’existence, puis de la disparition, d’un « Journal de marche » du Cabinet Gamelin.
J’ai effectivement assuré la direction du Service historique de l’armée de Terre au château de Vincennes, de 1953 à 1966 – à la mort du regretté Xavier de Virieu.
À mon grand regret je ne puis vous donner de témoignage différent de ceux du lieutenant-colonel Le Goyet et du lieutenant Cadilhon, alors responsables de notre section contemporaine, qui ont pris en charge les documents du général, après levée des scellés.
Je me souviens avoir appris, tout à fait par hasard, de source non officielle, la saisie des archives du général Gamelin, à son domicile, par une équipe que je suppose ministérielle, aussitôt après la mort du général à l’hôpital du val de Grâce. Mort qu’ignorait encore la Générale.
Choqué par la brutalité et l’incorrection d’un tel procédé, j’ai eu alors à cœur de faire savoir à la famille Gamelin que notre Service historique était étranger à cette mesure.
J’ai assisté moi-même aux obsèques du général au Val de Grâce. Quand les papiers saisis ont été remis au lieutenant- colonel Le Goyet, représentant du Service historique, j’ai renouvelé à la famille mon souci de donner satisfaction à ses demandes éventuelles, dans le cadre de nos règlements.
Le lieutenant-colonel Le Goyet m’a rendu compte, à l’époque, de la levée des scellés à laquelle il avait assisté et de l’inventaire des documents reçus, ensuite établis par ses soins.
Je suis certain qu’il n’y avait pas trace du Journal de marche, dont vous supposez non sans raison, l’existence, puis la disparition.
J’avoue que votre exposé me fait regretter aujourd’hui de ne pas avoir manifesté plus de curiosité.
Il est vrai que mes travaux antérieurs sur la Seconde Guerre mondiale m’avaient essentiellement orienté sur les archives allemandes, et fort peu sur celles de l’ancien généralissime.
Il ne faut surtout pas oublier les circonstances qui ont suivi de près la mort du général Gamelin : L’écroulement d’un régime, l’apparition d’un nouveau pouvoir avec tous les changements d’équipes, consécutifs à cette complète rénovation gouvernementale.
Vous ne serez pas surpris, je l’espère, que je confie l’acheminement de cette lettre à mon ami, et lointain successeur, le général Delmas, qui ne doit pas en ignorer la teneur.
Charles de Cossé Brissac
Extrait du Tome N°6 de la série Le Grand Mensonge du XXe siècle : La fin des Mystères ?
« Le 21 janvier 1958, le général Gamelin à la suite d’une mauvaise chute est hospitalisé au Val de Grâce. Il a près de quatre-vingt-six ans et son état est sérieux. Dans sa petite chambre il va vivre trois mois d’une longue agonie. (-) Il meurt le 18 avril et Mme Gamelin a la douloureuse surprise, en rentrant du Val de Grâce, de constater que les scellés sont apposés sur le cabinet de travail du général à son domicile, 55 avenue Foch à Paris. Le ministre de la Défense nationale, par l’intermédiaire du commissaire de police du 16e arrondissement a fait appliquer strictement les textes réglementaires (d’apposition des scellés). Le colonel Consigny représentait le ministre. »
Nous connaissons aujourd’hui les circonstances exactes de cette application « réglementaire » des scellés, puisque le colonel Consigny, qui s’était fait ouvrir le logement par la concierge en l’absence de Mme Gamelin, est le seul à avoir pu voler le Journal de marche et les carnets personnels du général juste avant qu’ils soient posés.
Ce n’est donc que le 4 juin, soit près de deux mois après l’apposition de ces scellés, que le colonel Le Goyet prend possession de ce qui reste des archives du général : « Le 30 avril 1958, une décision ministérielle prescrit au Service historique de l’Armée d’assister un magistrat militaire dans la levée des scellés et la récupération des documents appartenant aux départements de la Défense nationale et des Affaires étrangères. Je suis désigné pour accomplir cette mission, le lieutenant Cadilhon et l’adjudant –chef Brun m’accompagnent. L’opération s’effectue le 4 juin 1958, en présence du Magistrat colonel Jallut, de l’intendant de 3e classe Falcout, du commissaire de police du 16e arrondissement en uniforme, de madame Gamelin, de deux membres de la famille et d’un avoué. Tout est désordre … Des papiers sortis des tiroirs sont éparpillés, d’autres sont entassés par terre, d’autres dans des cantines poussiéreuses… En silence nous entamons les premiers tris. Au bout d’une heure, j’interviens auprès du colonel Jallut et lui suggère de transporter le tout à Vincennes au Service historique de l’Armée avec l’accord de Mme Gamelin et du général de Cossé-Brissac. Après avoir reçu l’assurance que tous les papiers strictement personnels, ou n’ayant aucun intérêt historique, lui seront reversés, et après avoir pris conseil de son avoué, Mme Gamelin accepte. Tous les documents sont mis en cartons et chargés dans une camionnette. » Fin de citation (Le Goyet Le mystère Gamelin page 369, 370, 371).
Ainsi, partant du principe qu’un homme en charge de rassembler, étudier, puis classer les archives d’un général ayant commandé en chef ne peut ignorer l’importance de son Journal de marche et de ses carnets personnels qui en sont les pièces majeures, comment expliquer que ce haut responsable, dans sa biographie du général Gamelin, ne mentionne pas leur disparition ???
Qu’il se contente, sans plus de commentaires de signaler la présence du colonel Consigny le 18 avril ?
Qu’il ne mentionne pas plus les plaintes de Mme Gamelin auprès du général de Cossé Brissac et la lettre d’excuse de ce dernier reconnaissant formellement le vol perpétré avant l’apposition des scellés, puis préfère décrire le cabinet de travail du généralissime totalement mis sens dessus-dessous par cette fouille hâtive, comme s’il s’agissait de l’état normal des lieux ?
Quant à la raison pour laquelle il fut choisi pour veiller au classement et au bon enregistrement de ces archives, certaines mauvaises langues, après avoir constaté le zèle avec lequel il contribua à la rédaction de la bible officielle, ont pu y voir un excellent moyen de filtrer à nouveau ces documents, au cas où quelques pièces auraient pu échapper au colonel Consigny, envoyé par M. Chaban Delmas en ce temps ministre de la Guerre du gouvernement de M. Félix Gaillard.
Le lecteur ne s’étonnera donc pas que les enregistrements et rapports rédigés dans la journée du 15 mai 1940 à la suite de la trahison du tandem Georges – Billotte, aient également « disparu » de l’histoire de cette bataille, ou que les témoignages et rapports concernant les « chars fantômes de Sedan » aient été modifiés ou se soient « envolés ».
En définitive, et quoiqu’il en soit de ce nouveau tour de passe-passe historique, une chose est certaine : Ce témoignage nous donne l’assurance que tous les documents sur cette bataille, volés ou pas, et en particulier ceux concernant le rôle que le généralissime y a tenu, sont actuellement en possession de l’État français, puisque le général Gamelin a bien pris soin de préciser qu’il a pu disposer, pour rédiger ses Souvenirs, de toutes ses archives : « Il me faut notamment revoir de près toute une série de notes soigneusement enregistrées au jour le jour, par moi-même, ou par mon état-major. (-) J’eus soin d’accompagner mes notes et mémoires de toutes les pièces à l’appui que je pus faire retrouver dans les archives de mon ancien état-major particulier. Je tenais à ce que ces documents fussent déposés au dossier du procès. Et bien m’en prit d’ailleurs, car une partie d’entre eux fut détruite par les autorités militaires qui en avaient la garde, (c’est moi qui souligne) quand les Allemands pénétrèrent en zone libre le 11 novembre 1942 »
Décidemment, il semble que ce soit une manie de détruire les archives chez nos militaires, et l’on comprend maintenant à quel moment ces « autorités » ont pu détruire tous les documents ayant un rapport quelconque avec les informations fournies par Roessler et les autres.
Marotte de la destruction que Gamelin devait connaître puisque : « j’avais heureusement le double des originaux essentiels. (-) Mes archives ont pu être précieusement conservées, à peu près complètes, mais j’ai dû les mettre à l’abri tant que la France était occupée par les Allemands. Il y a d’ailleurs des faits, ou des opinions, qu’il vaut mieux n’exposer qu’avec un certain recul et quand les passions soulevées par les crises que nous traversons auront perdu de leur acuité. »
Fin de citation (Gamelin Servir Tome 1 Introduction page II)
Et le constat est clair… Apparemment les « passions » ne sont pas refroidies.
Sachant que le double de ces pièces a été détruit par les Français lorsque les Allemands pénétrèrent en zone libre le 11 novembre 1942, et qu’il convient d’ajouter à toutes ces disparitions « malencontreuses » les milliers d’archives saisies par les « alliés anglo-saxons » qui, selon mes conclusions personnelles, servent encore à exercer le chantage indispensable au maintien du « secret de famille », on ne s’étonnera pas de la facilité avec laquelle la thèse de l’illogisme put s’imposer.
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